Arqueología y Territorio Medieval 27, 2020. pp. 93-112 I.S.S.N.: 1134-3184 DOI: 10.17561/aytm.v27.5276
Importations andalouses et valenciennes de céramiques au bleu de cobalt et lustre en domaine zayyānide (tlemcen)
Andalusian and valencian imports of cobalt and lustre ceramics under the zayyanid dynasty (tlemcen)
Akila Djellid1
RÉSUMÉ
Les céramiques bleues et lustrées ont connu une grande diffusion dans le bassin méditerranéen entre le XIIIe et le XVe siècle, atteignant l’Europe du Nord, le Proche-Orient et l’Égypte. Les ateliers de la Péninsule Ibérique, en particulier ceux situés à Malaga et à Valence ont été les principales provenances de différents sites maghrébins, tels que Tunis et Bijāya, où a été trouvé ce type de céramique, dont l’origine est toujours controversée. À ces derniers, vient s’ajouter le petit lot bleu et/ou lustré découvert à Tlemcen dans la citadelle zayyanide d’al-Mishwār. Ces découvertes attestent de la circulation de ce type de vaisselle au Maghreb central et témoignent des relations culturelles et commerciales entre les Nasrides de Grenade, le royaume d’Aragon et les Zayyānides de Tlemcen. Nous essayerons d’aborder ces céramiques principalement du point de vue morphologique et stylistique afin d’en déterminer l’origine ou le centre de production.
Mots clés: Maghreb Central, Moyen Âge, céramique, bleu de cobalt et lustre, Tlemcen, Péninsule Ibérique.
ABSTRACT
Blue and lustre ceramics were widely distributed in the Mediterranean basin between the 13th and 15th centuries, reaching northern Europe, the Near East and Egypt. The Iberian workshops, especially those in Malaga and Valencia, are the main provenances for the different North African sites, such as Tunis and Bejaïa sites, where this ceramic production was evidenced in the Maghreb, although its origin is still controversial. The small repertoire of blue and / or lustre ceramics, discovered in Tlemcen, in the Zayyānid citadel of al-Mishwār, is added to these, which refers to the circulation space of this type of tableware in the central Maghreb and to testimonies of cultural relations and trade between the Nasrids of Granada, the kingdom of Aragon and the Zayyānids of Tlemcen. We will try to approach these ceramics mainly from the morphological and stylistic point of view in order to determine the origin or the production center.
Keywords: Central Maghreb, ceramic, Middle Ages, cobalt blue and lustre, Tlemcen, Iberian
RESUMEN
Las cerámicas azules y doradas tuvieron una gran difusión por la cuenca mediterránea entre los siglos XIII y XV llegando hasta Europa del Norte, el Próximo Oriente y Egipto. Los talleres de la península ibérica, especialmente los situados en Málaga y Valencia, fueron las principales procedencias en diferentes asentamientos magrebíes, como Túnez y Bugía, donde se ha encontrado este tipo de cerámica, cuyo origen aún se debate. A esto se añade el pequeño lote de cerámica azul y/o lustre, descubierta en Tremecén, en la ciudadela Zayaní del Mexuar, que atestigua la circulación de este tipo de vajilla en el Magreb central, y son testimonios de las relaciones culturales y del comercio entre los nazaríes de Granada, el reino de Aragón y los zayaníes. Intentaremos acercarnos a estas cerámicas principalmente desde el punto de vista morfológico y estilístico para determinar el origen o el centro de producción.
Palabras clave: Maghreb Central, Edad media, cerámica, azul y dorada, Tlemcen, península ibérica.
INTRODUCTION
La céramique islamique de la citadelle d’al-Mishwār provient des dégagements de remblais et des travaux effectués en 2010 sur une partie des structures. Ces travaux de sauvetage ont été effectués dans le cadre d’une revalorisation du site et d’une réhabilitation pour une restitution du palais zayyanide. La nécessité de respecter les délais et le peu de moyens engagés dans cette fouille ont perturbé la bonne démarche des travaux, d’où l’impossibilité d’une reconstitution fiable du contexte stratigraphique nécessaire à la compréhension des structures architecturales et des objets exhumés. De plus la nature des remblais et des structures bouleversés par les transformations fréquentes subies par la citadelle à partir de l’occupation ottomane au XVIe siècle, puis la période coloniale, n’ont pas favorisé une bonne lecture des vestiges. Aujourd’hui la citadelle est un complexe qui abrite des administrations culturelles et artisanales avec la reconstitution architecturale d’un des palais zayyanides (Fig. 1).
Dans cet article, nous présentons un lot de céramique bleue et/ou lustrée de Tlemcen, un matériel très mal connu et peu exploité. L’intérêt de cette étude est de révéler cette céramique et de démontrer que le territoire du Maghreb central n’était pas en retrait de cette production de luxe andalouse. Il s’agit également de confirmer les relations artistiques entre les deux rives et les apports commerciaux et politiques qui ont favorisé la présence de ces céramiques dans le royaume zayyanide.
Fig. 1. Partie principale du palais al-Mishwār avant et après la restitution
(Plan source NIHEL KAROUI, 2016)
CADRE HISTORIQUE
Qal‘at al-Mishwār veut dire en langue arabe, littéralement, la citadelle du conseil ou lieu consultatif, doit son nom à la salle où se réunissaient les ministres et les consuls avec le roi de Tlemcen. Le palais est situé au centre de la ville de Tlemcen à l’ouest de l’Algérie. C’est un complexe royal comprenant des palais, mosquées et habitations, le tout entouré de fortifications impressionnantes, dont une partie est encore aujourd’hui conservée. Tous les historiens semblent attribuer la fondation de la citadelle, aux Banū ‘Abd al-Wād, ou Banū Zayyān en 1235, en référence à son fondateur Yaghmūrasan Ibn Zayyān.
Ce n’est qu’après l’effondrement de l’État almohade vers le début du XIIIe siècle que trois États distincts se sont constitués au Maghreb. Les Mérinides de Fès, les Hafsides de Tunis, les Zayyānides de Tlemcen. Le royaume des Zayyānides devient indépendant et c’est en 1240 que la ville de Tlemcen devient la capitale du Maghreb central (Fig. 2).
Fig. 2. Situation du palais al-Mishwār
Aux alentours de la citadelle: les sites d’Agadir (idrisside), Taghrārt (almoravide-almohade) et al-Mansūra (mérinide)
La conquête musulmane de la région de Tlemcen eut lieu vers 675 avec Ibn al-Mūhādjir Dinār et ‘Uqba ibn Nāfi‘. Vers le VIIIe siècle un premier établissement se développe sur l’ancienne ville romaine de Pomaria, qui devint le centre du royaume kharidjite d’obédience sufrite. Celui-ci passe sous le contrôle idrisside en 789 avec Idrīs I qui édifia la mosquée à son nom (KHELIFA, 2008: 136 ). Sa capitale se développe sous le nom d’Agadir. À la chute des Idrissīdes, Agadir devint la capitale des Banī Khāzār et des Banī Ya‘la, émirs berbères et vassaux des Omeyyades d’Espagne. Par la suite, les Almoravides établirent leur campement sur une colline appelée «Taghrārt», où Yūsuf ibn Tāshufīn érigea une demeure fortifiée et une grande mosquée. Ensuite une nouvelle puissance s’affirmait au Maroc et en al-Andalus, et ce sont les Almohades qui reprirent Tlemcen et construisirent ses remparts ainsi que les remparts des villes de Nedroma et de Hunaïn. Grâce aux activités portuaires avec l’Occident, la ville de Hunaïn fut un centre économique accrue de Tlemcen (KHELIFA, 2008: 204). Ce sont les Zayyānides qui firent de Tlemcen le centre de rayonnement politique et économique du Maghreb central et une ville qui connaît un essor culturel, religieux et artistique de grande ampleur (IBN KHALDŪN, 1847: 159-160).
Bien que la ville de Tlemcen constitua une force dans le Maghreb central, elle fut assiégée à deux reprises par les Mérinides (1299-1307 et 1335-1337), qui édifièrent la ville d’al-Manṣūra ainsi que les mosquées de Sīdī el-Halwī et Sīdī Bū Madyan non loin du palais al-Mishwār. Elle tomba également sous le contrôle hafside vers la fin du XVe siècle. Et vers le XVIe siècle, le royaume fut annexé à l’État ottoman, un gouverneur turc fut installé avec une garnison dans la citadelle d’al-Mishwar (KHELIFA, 2008: 266).
En dépit de trois siècles d’invasions multiples et d’insécurité, les Zayyānides réussirent à établir un royaume prospère tout au long de leur règne, et c’est sous Abū Hammū II (1359-1389), monarque cultivé, né et élevé en al-Andalus, que Tlemcen retrouva son éclat et bénéficia, grâce à sa situation centrale au Maghreb, de relations extérieures établies avec l’Aragon et Majorque (DAOUADI, 2009: 136) et d’une position forte dans le bassin méditerranéen. Les souverains ‘Abd al-wādīdes eurent à restaurer et édifier plusieurs édifices dont la majorité a disparu aujourd’hui. Les sources historiques sont formelles quant au rayonnement de la citadelle et à sa richesse; Ibn Khaldūn cite des quartiers résidentiels, des beaux palais et des caravansérails pour les voyageurs ainsi que des jardins (IBN KHALDŪN, 1847: 161). Léon l’Africain, au XVIe siècle, nous décrivit une ville riche et peuplée; il cita la ville comme une grande et royale cité avec ses belles demeures ornées de mosaïques, de fontaines, d’hôtelleries ainsi que de marchands et d’artisans (LÉON L’AFRICAIN, 1983: 20-21).
RELATIONS ENTRE TLEMCEN ET LA PÉNINSULE IBÉRIQUE
Sa position au carrefour des grandes routes reliant l’Ouest du Maghreb central au Maroc et le Tell au Sahara, met la ville de Tlemcen au diapason des échanges politiques, culturels et commerciaux méditerranéens. Les sources citent également les relations commerciales entre le royaume de Tlemcen et le bassin occidental notamment al-Andalus et l’Espagne chrétienne. Plusieurs traités ont été établis entre ces royaumes. Au XIIIe siècle les ports maghrébins étaient fréquentés par les commerçants de la rive septentrionale: Andalous, Catalans, Italiens et c’étaient les ports d’Oran et de Hunaïn qui étaient fréquemment utilisés pour l’importation et l’exportation de diverses marchandises; à cet effet de nombreux traités ont été signés pour garantir la sécurité et le bon développement commercial (MAS LATRIE, 1866: 170). Les Zayyānides de Tlemcen entretenaient de bonnes relations avec le royaume nasride dès le début du XIVe siècle; ils étaient des alliés contre la coalition de l’Aragon, de la Castille et du Maroc (ARIÉ, 1990: 23). Il existait aussi des traités (1286) d’ordre politique et économique entre Tlemcen et l’Aragon. Le roi d’Aragon était autorisé à exporter à sa guise des vivres de Tlemcen; le port de ces négociations était celui d’Oran, les marchands Catalans y possédaient des fondouks (DUFOURCQ, 1966: 321-322), avec un représentant «Alcayt» qui était aussi chef de milice que représentait les marchands, il était nommé par la couronne d’Aragon (KHELIFA, 2008: 252). Hunaïn abritait également des marchands des différentes nations européennes qui préféraient avoir leur représentant dans la capitale afin d’avoir accès aux autorités officielles. Le traité de 1286 permettait à la couronne d’Aragon d’encaisser la moitié des taxes douanières perçues à Oran, à Hunaïn et dans bien d’autres ports sous l’autorité des ‘Abd al-Wadīd (KHELIFA, 2008:248). Le port de Hunaïn est, au cours des XIIIe, XIVe et XVe siècles, pourvu d’un arsenal et de chantiers de construction navale (MARÇAIS, 2000: 3)
On attribue généralement les arts mérinides et zayyānides aux traditions almoravides et almohades, d’où une évidente unité de style entre Fès, Tlemcen et Grenade (LAWLESS, 1975: 53). Le souverain de Grenade envoyait des architectes et des artisans à Tlemcen à la demande d’Abū Hammū I et de son fils Abū Tāshufīn, qui employait également des prisonniers chrétiens comme ouvriers dans de nombreuses constructions (LAWLESS, 1975: 53). La position clé de Tlemcen sur le grand axe commercial transsaharien, qui était la route de l’or et des esclaves, faisait de la ville le relais des européens. Léon l’Africain signale que la forte concurrence des Aragonais au Maghreb central obligeait les Italiens à passer par l’Espagne pour leur approvisionnement en or (MAS LATRIE, 1866: 338). Ibn Maryam indique que l’administration zayyānide était partagée entre les membres de la famille et les Andalous (IBN MARYAM, 1971: 397-398). Ibn Khaldūn et Léon l’Africain évoquèrent diverses activités artisanales à Tlemcen, sans pour autant mentionner les ateliers de céramique. Le seul indice en faveur d’une présence éventuelle d’ateliers de bleu et/ou lustre au Maghreb central est un document d’archives portant sur un inventaire d’une pharmacie de Gênes, en 1312, qui mentionne des pots ou faïences dorées de Bijāya (MAS LATRIE, 1866: 178); les ateliers de Bijāya auraient hérité le secret du savoir-faire des Hammadides (JENKINS, 1980: 340); serait-il possible que Bijāya eût des ateliers de ce type de céramique ? Il semblerait que les sources d’inspiration des céramiques espagnoles seraient fort probablement passées de la Qal‘a des Banū Hammād à Bijāya et de là, à Malaga (JENKINS, 1980: 340). Tunis aurait été également un centre producteur exportant vers l’Europe (DAOULATLI, 1994: 106).
LE BLEU ET/OU LUSTRE METALLIQUE
La circulation de vaisselle de table en Méditerranée occidentale, entre le Maghreb central et al-Andalus est attestée depuis le Xe siècle, qui devint plus dense entre le XIe et le XIIIe siècle, notamment le vert et brun, la cuerda seca, l’esgrafiado et probablement le lustre métallique brun-doré (DJELLID, 2019: 566). L’apparition d’une nouvelle tendance artistique sur les céramiques glaçurées semble commencer vers la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle, avec les Almohades en introduisant le bleu de cobalt au brun de manganèse avec des décors abstraits et rigoureux (DAOULATLI, 1994: 106). Plusieurs sites avaient adopté ce type de céramique: la Qaṣba de Tunis, Bijāya, Marseille et Valence.
C’est en Occident musulman, principalement dans la péninsule Ibérique, que la production de céramique retrouva un élan et un renouveau des savoirs techniques avec l’apparition du bleu de cobalt associé au lustre métallique. Le lustre était déjà connu en Iran vers le IXe siècle, les céramiques lustrées semblent être établies dès le XIe siècle en al-Andalus avec la période des Taifas, notamment à Séville, qui se développa entre le XIIe siècle et le XVe siècle. La technique connut un apogée de centres de productions avec un champ de commercialisation très vaste. Après la conquête de Cordoue (1236) et de Séville (1248), al-Andalus se replia autour de Grenade avec le royaume nasride (Grenade, Malaga et Alméria) qui s’imposa comme dernier État islamique et un lieu de production de la céramique de luxe de grande qualité. C’est à Malaga que la production en bleu et blanc et/ou lustrée semble voir une innovation et un centre de production très actif, qui malheureusement s’éteignît progressivement après la conquête du territoire par les chrétiens en 1492. Cette céramique se caractérise par un émail blanc stannifère dans lequel est combiné un décor à l’oxyde bleu de cobalt et à l’oxyde métallique de cuivre (doré). Ce changement technologique implique l’utilisation de nouveaux éléments minéraux et le recours à un nouveau répertoire décoratif probablement lié aux conjonctures politiques et socio-économiques de l’espace ibérique. La combinaison du bleu et du lustre doré était déjà connue à l’origine des ateliers iraniens notamment de Kashān et de Rāy. On soupçonne que la technique aurait été introduite par la suite, dans le domaine nasride vers la fin du XIIIe siècle (règnes de Mūhammād I et de Mūhammād II) (MONTAGUT, 1996: 23). En outre, certains auteurs pensent que la technique aurait été implantée en al-Andalus via le Maghreb, vraisemblablement de Tunis (GARCÍA PORRAS, 2012: 26). Plusieurs sources indiquent cette production dans le royaume nasride: Ibn Sa‘īd al Maghribī de Grenade écrit qu’il se fabrique à Murcie, Malaga et Alméria des céramiques lustrées (VV.AA., 2002: 70); Ibn Baṭṭūṭa cite l’admirable lustre de Malaga exporté dans les pays les plus lointains (IBN BATTŪTA, 1968: 367). Ibn al-Khatīb vante le grand succès de la céramique de Malaga dans le royaume de Grenade (FLORES, 2011: 22 ). C’est à cette époque, également à Grenade, qu’étaient connues les plus grandes pièces de céramique lustrée, les grands vases dits «de l’Alhambra».
Citons d’abord la production implantée à Malaga (probablement aussi à Grenade), une production de luxe dont les détails présentaient des caractéristiques spécifiques, certaines formes particulières avec certaines décorations, telles que celles à base de traits bleus et dorés qui lui valurent le nom de «céramique nasride» (GARCÍA PORRAS, 2012: 22). Dès la fin du XIVe siècle, le savoir-faire fut déplacé près de Valence, dans deux bourgs du nom de Paterna et Manises (GARCÍA PORRAS et alii, 2012: 421). Ce sont les ateliers chrétiens qui reprirent la production, séduits par cette céramique. Le contact permanent avec la culture musulmane, probablement de la part de potiers de Malaga ayant émigrés vers le territoire aragonais, ce qui explique les références constantes à Malaga quand il s’agissait d’un type de céramique produit «obra de Malica» ou faisant référence à leurs architectes appelés «malegueros» ou «almalequeros» (ÁLVARO, 2007: 354). Don Pedro Buyl, seigneur de Manises, encourageait des artistes musulmans à s’installer dans la ville. Un siècle après, les céramiques de Manises et de Paterna furent l’objet d’un fort engouement; elles étaient exportées dans toutes les cours européennes.
PRÉSENTATION DU MATÉRIEL
Les fouilles de 2010 avaient permis de dégager une partie du palais royal zayyānide al-Mishwār ainsi que des annexes (palais secondaires, maisons, jardins, fontaines avec des revêtements de zellidj). Le remplissage des grands bassins a fourni une grande quantité de céramique appartenant notamment à la période zayyānide, avec un effectif de 6 274 fragments (NR) appartenant à un répertoire morphologique fonctionnel diversifié, comprenant pour la majorité (67%) de céramique commune sans glaçure, 11% de la culinaire et 15% de glaçurée monochrome et polychrome (vert et brun) et 3% de céramique bleue et/ou lustrée, le reste est inidentifiable. Le lot peut être daté de la période allant du XIIIe au XVe et même XVIe siècle. Le matériel n’a fait l’objet pour l’instant que d’un rapport préliminaire (DERIAS et alii, 2015).
LES PÂTES
Trois types de pâte se distinguent du lot d’al-Mishwār en bleu, bleu-lustré et lustre doré seul, selon la texture et la couleur de la pâte. Ces pâtes ne sont pas spécifiques à un type stylistique ou morphologique.
A- Une pâte très claire qui varie entre le beige et le rose-orange pâle avec des impuretés, parfois ce sont des nodules blancs très apparents avec quelques alvéoles (bulles d’air).
B- Une pâte orange saumon-beige, très épurée, douce au toucher sans aucune trace d’impuretés.
C- Une pâte orange avec quelques impuretés visibles.
LES FORMES ET LES DÉCORS
Dans la production bleue et blanc et/ou lustrée zayyanide de Tlemcen, sept principales catégories morphologiques se distinguent:
1. Les coupes
C’est la catégorie la plus importante du lot; elle comprend de petites et grandes coupes, dont le diamètre varie entre 18 et 38 cm. Trois formes peuvent être définies:
1.1. Les coupes hémisphériques (Fig. 3)
Elles sont peu nombreuses, se caractérisent par une lèvre arrondie et une base à pied annulaire, la pâte est de type A et B. Les deux surfaces sont recouvertes d’un émail blanc, l’intérieur présente un décor géométrique, épigraphique ou végétal, en bleu de cobalt clair. Des traits soulignent le bord de l’intérieur parfois de l’extérieur. On peut lire sur des fragments une partie des motifs: un motif végétal orne l’intérieur en arcades remplies de tiges (Fig. 3: 1-2), un motif épigraphique dans un registre horizontal (Fig. 3: 3). Une pièce présente un décor lustré de cercles (Fig. 3: 4). On observe des motifs similaires sur des céramiques de Malaga de la période nasride (FLORES & MUÑOZ, 1995: 260, fig. 19.8), ainsi que sur des productions de Valence (AMIGUES, 1995: 380-381).
Nous avons associé à ce groupe quelques fragments de base annulaire portant un décor bleu et lustré: un fragment dont le centre est orné d’une arabesque centrale radiale (Fig. 3: 5) et on relève également un décor héraldique simple qui associe au centre un carré encadrant un écu hachuré (Fig. 3: 6) qui semble correspondre au blason des nasrides, qu’on retrouve également sur la céramique bleue lustrée chrétienne. Des parallèles sont observés sur des coupes nasrides de Grenade (GARCÍA PORRAS, 2012: 26, fig. 5). Le vide entre l’écu et le carré est ornementé par des spires et les extrémités ainsi que la partie médiane du carré qui semble porter un bouquet de tiges fleuries, probablement pour illustrer l’arbre de vie. Un autre fragment de base présente également un écu à plusieurs hachures droites et les extrémités portent une spire (Fig. 3: 7); des similitudes sont observées sur le fond d’une base de Valence (Manises) (COLL CONESA, 2009: 78, fig. 149).
La forme hémisphérique des coupes, semble très répandue dans les productions tunisoises hafsides (DAOULATLI, 1980: 354, pl. II-III), et on la trouve également très présente dans les écuelles.
Fig. 3. Coupes hémisphériques
1.2. Les coupes à carène (Fig. 4)
Elles sont peu présentes dans la collection du bleu et lustre, contrairement à la céramique sans glaçure et à glaçure monochrome, la pâte est de type B et C. Nous avons un exemplaire de petites dimensions et en bon état de conservation de 7,3 cm de hauteur, la partie supérieure est cylindrique surmontée d’une lèvre amincie, le bas de l’écuelle est tronconique avec une carène marquée; la base est cintrée et concave formant un fond convexe de l’intérieur (Fig. 4:1). Elle comporte un décor radial végétal et géométrique, occupant toute la surface interne, la bordure est tracée par deux bandes bleues et au lustre cuivré (Fig. 4: 1). Le motif végétal est fait d’arcades contenant des tiges à fleur et feuilles, le tout relié à un cercle central occupé par un carré; les arcades et les tiges sont disposées en mouvement donnant l’impression d’une rouelle tournoyante, similaires au style décoratif des céramiques nasrides de l’Alhambra (GARCÍA PORRAS, 2012: 25, fig. 3) et de Tunis (DAOULATLI, 1994: 154, n°107 et 155, n°108).
Un fragment de coupe porte un décor sur le bord en registre circulaire (Fig. 4:2) avec des arcades entrelacées similaires aux productions d’Alméria et de Grenade (FLORES, 1995: 260, 1 et 2).
Nous avons un fragment de bord dont la partie supérieure est quasiment cylindrique avec un bord à moulure et une lèvre arrondie. Le bas de la panse est tronconique avec une carène anguleuse (Fig. 4:3). Le décor est en bleu foncé avec de légères traces de lustre cuivré, une frise trace le bord, suivie d’un registre comprenant deux bandes verticales de part et d’autres, à l’intérieur une lettre en forme de nœud qui ressemble plus à une lettre arabe «ﻌ» inversée et surmontée d’un petit chevron. C’est probablement une abréviation du mot «al-afiya» schématisé. Une formule très prisée à cette période du Moyen Âge. Il semblerait que cette lettre se répète tout autour du registre en caractère cursif. Ce type de coupe a été localisé à la Qaṣba de Tunis attribué à une production tardive (DAOULATLI, 1980: 344 et 352, pl. IV, 36-40). Ces coupes avec leur décor ressemblent également aux productions nasrides de Granada et de Malaga.
Un fragment de bord simple semble être décoré d’une lettre latine «I» (Fig. 4: 4), dans un registre circulaire bordant l’intérieur de la coupe. Ce décor est semblable aux inscriptions en caractères gothiques sur des coupes à marli de Lyon appartenant au répertoire chrétien de Valence (VV.AA., 2002: 87).
Un autre fragment dont la partie supérieure est à moulures, avec un décor en bandes de zigzag en bleu et lustre cuivré (Fig. 4: 5). La forme est très représentée tant sans glaçure qu’avec glaçure. Il semblerait qu’on soit en présence d’un style valencien.
Dans ce groupe, nous observons également sur quelques fragments la combinaison de traits bleus et noirs qu'on retrouve dans la céramique de Tunisie attribuée à la production almohade et hafside (XIIIe-XIVe siècles) (DAOULATLI, 1994: 110).
Fig. 4. Coupes à carène
1.3. Les coupes tronconiques (Fig. 5)
Elles sont plus abondantes et forment un groupe homogène dans la finesse de l’épaisseur des parois et la texture de la pâte de type A. Très présentes dans le lot de Tlemcen principalement avec un décor bleu et lustre cuivré. Elles présentent un bord en bandeau très fin, des parois obliques rectilignes et parfois légèrement concaves et une base à pied annulaire; dans certaines coupes le fond interne est convexe et très prononcé. Ce sont des formes classifiées comme coupes à carène haute. Pour notre part nous avons préféré les mettre dans le groupe des tronconiques, car la lèvre de la carène est à peine perceptible, elle est verticale pointue et de section triangulaire. Des coupes de ce type sont présentes à Alméria et Grenade (FLORES & MUÑOZ, 1995: 260) avec le même principe décoratif. Elles peuvent également s’identifier au type I de Hita Ruiz (HITA RUIZ & VILLADA PAREDES, 1988: 446, fig. 3a-b). Elles sont similaires au type de coupes nasrides de Tunis et de Grenade documentées par A. Garcia Porras (GARCIA PORRAS, 2007: 839, pl. 1). Les coupes découvertes portent une ordonnance radiale de motifs végétaux et géométriques avec des arcatures remplies de rosaces à trois lobes qui occupent tout l’intérieur de la pièce qui semble être reliée au centre par un cercle ou par un carré central (Fig. 5: 1). Le bord est parfois décoré par un registre d’épigraphie de la formule «al-afīya» et parfois, uniquement par des cercles en bleu et lustre cuivré ou des arcs entrecroisés. Des ressemblances sont observées dans la céramique nasride d’Almería (FLORES, 2011: 23, pl. 7 c-d-e) et la céramique hafside de Tunis (DAOULATLI, 1994: 154-155). Une coupe, à fond convexe très marqué, se distingue par un décor organisé en registre d’arcatures pointillées reliées à un cercle (Fig. 5:2). Il semblerait que le fond convexe est lié à ce type de coupes tronconiques et à parois fines, un autre fragment de fond similaire comporte un décor épigraphique dont on perçoit partiellement la formule «al-afiya» dans un cartouche accolé à un carré central (Fig. 5: 3). Le style épigraphique trouve ses similitudes dans la céramique de Malaga (GARCÍA PORRAS, 2012: 26, fig. 6) et de Ceuta (HITA & VILLADA, 1998: 446, fig. 2b). Le terme récurrent «al-afiya» dans sa forme complète ou partielle se développe sur toute la surface ou sur des compartiments en bordure des coupes ou le fond. La recherche d’un effet de style ou d’une économie de l’espace justifierait ici la troncature des mots. Les céramiques de Paterna et de Malaga s’identifient par ce genre d’épigraphie au cours des XIVe et XVe siècles (POSAC MON, 1980-1981: pl. 6). La formule «al-afīya» est une expression qui apparait bien avant la période nasride, avec un style très varié, contrairement à cette période dont le style semblerait connaitre une évolution chronologique entre le XIIIe et le XVe siècle (ACIEN ALMANZA, 1979: 234)
D’autres fragments de formes similaires dont le lustre cuivré est très visible, il est utilisé pour marquer les motifs linéaires et comme remplissage. Les décors sont principalement végétaux à distribution radiale, principalement des entrelacs végétaux en alternance avec des palmiers et des triangles en bordure remplis de spires (Fig. 5: 4-5). Des parallèles avec la céramique lustrée nasride sont évidents, pour ce style décoratif. Ce sont des pièces datées du XIVe siècle, très documentées à Malaga (FLORES, 1988: 23, fig. 2, 37 et 39), à Granada (GARCIA PORRAS, 2007: 840, pl. 2.1), et également à Ceuta (HITA & VILLADA, 1998: 448, fig. 3). Nous avons associé à ce groupe de forme un nombre important de bases annulaires avec des pieds très variés et des fragments de panse comportant des motifs de tiges entrelacées ou des arceaux et des palmettes.
Fig. 5. Coupes tronconiques
2. Les écuelles
Elles sont nombreuses dans notre collection; leurs dimensions varient entre 10 cm et 16 cm. Trois types se distinguent:
2.1. Les écuelles hémisphériques (Fig. 6)
Ce sont les plus nombreuses, la pâte est de type A et C. Elles se caractérisent également comme les coupes d’un bord arrondi simple et d’une base annulaire. L’état fragmentaire des pièces ne permet pas de lire correctement l’organisation des motifs. On observe une ordonnance de décor géométrique, végétal et épigraphique en bleu de cobalt. Les traits en bleu sont épais et foncés sur certaines pièces et fins et plus clairs sur d’autres, tandis que le lustre est cuivré et a disparu sur la plupart des pièces. Les motifs sont distribués en lignes, en registres ou de façon radiale. Les registres sont horizontaux; leurs remplissages sont à motifs divers: arabesque, spires, croisillons, lignes brisées, triangles, cercles et carrés. Le décor radial occupe toute la surface interne avec au centre un thème géométrique, végétal ou étoilé. Un fragment à décor en registres délimités de part et d’autre de lignes en bleu intense et de lignes en lustre cuivré. Les registres portent des lignes entrecroisées formant des triangles en lustre, suivis de registre de spires (Fig. 6:1). Ce type d’agencement de décor est similaire aux exemples de la Qaṣba de Tunis, ainsi qu’à la production de Malaga et de Valence. Certains attribuent cette production à Manises (XVe siècle) et d’autres à Malaga (XIVe) (DAOULATLI, 1980: 349).
Sur d’autres bords d’écuelles, on peut, par comparaison, voir une organisation circulaire, dont la bordure est occupée par un registre comprenant des traits, des courbes, des points, des «V» et des spires, suivi d’un autre registre de croisillons (Fig. 6: 2). Un fragment en bleu et lustré comporte le même motif (Fig. 6: 3). Un profil d’écuelle ne comporte qu’un trait bleu et un trait au lustre cuivré (Fig. 6: 4). Nous avons associé à ces formes des bases avec des motifs qui semblent correspondre avec l’organisation du bord. Un fond de base est composé de trois éléments: cercle, carré et palmette, le tout encadrant un registre de croisillons (Fig. 6: 5). Le motif central est la palmette entourée d’un cercle qui est scindé lui-même en quatre quarts d’où des diagonales qui partent des quatre points formant ainsi le carré. Les vides entre le cercle et les côtés du carré sont remplis de spires et de hachures. On retrouve cette forme de l’écuelle ainsi que le style décoratif notamment à Valence (AMIGUES, 1995: 376, fig. 1-5 et 7) et qui semblent appartenir au style de Malaga (GONZÁLEZ, 2014: 633, fig. 3). Des parallèles sont également observés à Manises (COLL CONESA et alii., 2017, fig. 7, 3685-3686 et fig. 9, 3677), et dans bien d’autres sites de France et d’Italie (AMIGUES, 1995: 378).
Nous distinguons parfois comme motif central une rosace à 12 pétales isolée ou au centre d’un carré et d’autres petites formes hachurées (Fig. 6: 6). On repère des motifs similaires sur des céramiques de Valence (GONZÁLEZ, 2014: 637: fig. 13). Elles interpellent les écuelles de Séville datées du XIVe et XVe siècle (CARRASCO et alii, 2013: 130).
D’autres fragments d’écuelles profondes portent un motif d’écu hachuré similaire à la coupe hémisphérique n°7 de la figure 3, sauf que le bleu est plus clair, dont un fond de base avec un registre circulaire d’épigraphique entourant le blason hachuré (Fig. 6: 7). Signalons également d’autres fragments de bases et de parois portant des motifs variés uniquement en bleu de cobalt de palmettes, de roue, d’arabesques, de points et d’étoiles, qui trouvent leurs parallèles dans la céramique de Manises (COLL CONESA et alii, 2017: 227, fig. 8,3682, 3741) et dans la céramique de Séville (CARRASCO et alii, 2013: 134, Fig.8).
Nous avons un fragment de bord avec un décor végétal très distinct, composé de fines tiges enroulées où s’accrochent des feuilles de persil et des fleurs à six pétales (marguerite) (Fig. 6: 8). Ici, le style décoratif est plus naturaliste, similaire aux productions de Paterna du XVe siècle (CARRU, 1995: 65. 1-6 et 63.2), ainsi qu’aux productions de Manises (COLL CONESA et alii, 2017: 225, fig. 6, 3735).
Nous avons deux fragments de base avec un décor géométrique en bleu et au lustre cuivré dont un est à motif grillagé en lustre uniquement, fait de lignes rayonnantes et de cercles concentriques. L’autre fond est à décor également rayonnant fait de lignes bleu divisant l’espace en six sections triangulaires, chaque triangle est occupé par une palme en lustre (Fig. 6: 9). Ce genre de décor semble assez fréquent à Bijāya et à la Qaṣba de Tunis et bien d’autres sites d’Espagne. Daoulatli pose le problème de leur attribution soit à Manises (2e moitié du XIVe siècle), soit à Malaga (début du XVe siècle) (DAOULATLI, 1980: 349, pl. II, 16; pl. III, 18-20). Effectivement, les fouilles des ateliers de Manises de 2014-2015 (COLL CONESA et alii, 2017: 225, fig. 6, 3753) ont fourni des écuelles similaires datées du XVe siècle, ce qui confirme leur attribution à Manises.
Fig. 6. Les écuelles hémisphériques
2.2. Les écuelles hémisphériques à oreilles (Fig. 7)
Nous avons trois fragments de bord d’une écuelle en bleu foncé avec un décor central de rose dite «gothique» (Fig. 7: 1), que l’on retrouve sur les écuelles de Paterna (CARRU, 1995: 63.2, 4 et 6) et sur les coupes de Lyon (VV.AA., 2002: 102 et 104). Une autre écuelle porte également des motifs du répertoire chrétien de l’intérieur et l’extérieur, comme les feuilles de fougère en forme de plume et des ondulations qu’on appelle «solfas» ou notes de musique en doré. Ce sont des productions attestées à Valence, datées des XVe-XVIe siècles, et à Avignon, dont l’origine est hispanique (Valence) (CARRU, 1995: 65.121). Une des écuelles dont l’oreille porte un décor en creux lustré est similaire aux productions de Paterna qui sont datées du XVIe siècle (VV.AA., 2002: 142).
Fig. 7. Ecuelles à oreilles (productions chrétiennes XVe-XVI siècle: Valence)
2.3. Les écuelles à marli (Fig. 8)
Un autre groupe d’écuelles de type à marli, dont nous avons deux exemplaires représentés par deux petits fragments de l’extrémité du bord. Le marli de l’un des fragments est large et horizontal légèrement incliné vers l’intérieur dont la lèvre est brisée (Fig. 8: 1). Il porte un décor épigraphique du mot «al-afiya». Un autre fragment de marli d’une petite écuelle de 14 cm de diamètre semble être horizontal et se termine par une petite lèvre. Il est orné par une bande d’arcatures entremêlés (Fig. 8: 2). Les parallèles établies sont uniquement en rapport avec le marli, qu’on peut rapprocher à la coupe type IIIa de Huerta Rufino daté du XIVe siècle (HITA & VILLADA, 1998: 448, fig. 3a).
Fig. 8. Écuelles à marli
3. Les jattes (Fig. 9)
Nous avons trois exemplaires de jattes. La première jatte d’un diamètre de 46 cm avec un bord à lèvre arrondie à épaississement externe et des parois tronconiques (Fig. 9: 1). Le diamètre de la deuxième jatte est de 28 cm avec des traces d’un décor bleu à l’intérieur; elle présente une lèvre droite avec un ressaut intérieur destiné à recevoir un couvercle, ce type de bord nous rappelle la jatte de Lyon dite «fontaine baptismale» (VV.AA., 2002: 239), de production valencienne, datée du milieu du XVe siècle (VV.AA., 2002: 105, D282). La troisième jatte de 40 cm de diamètre à l’ouverture et de 10,5 cm de hauteur, se caractérise par une base tripode avec des pieds annulaires évidés (Fig. 9:2). L’intérieur présente un décor composite d’un registre horizontal comportant des compartiments décorés en alternance d’arabesque en arc et de cartouches avec la formule «al-afiya» en cursif; le fond de la jatte semble être décoré également de rinceaux entrelacés. On rencontre ce type de jatte à Grenade, datée du XVe siècle (FLORES & MUÑOZ, 1995: 261). Le style décoratif de l’arbre en bleu clair et l’épigraphie semblent trouver des analogies avec les productions de Malaga (ACIÉN ALMANSA, 1979: 228, pl. I). Paterna a également donné ce style de décor sur un pied de chandelier (AMIGUES, 1995: 34, fig. 2).
Fig. 9. Jattes (1: production valencienne, 2: production Malaga/Valence ?)
4. Les petites jarres (Fig. 10)
Nous avons également très peu de formes fermées. De rares fragments de cols ou de panse convexes semblent correspondre à des petites jarres. L’un des fragments est muni d’une petite anse (Fig. 10: 2) similaire à celles des jarritas nasrides (LLUBIA, 1967: 87, fig. 124). La partie externe de la panse et du col est décorée d’arabesques semblables aux décors d’Alméria et de Grenade (FLORES & MUÑOZ, 1995: 251, fig. 19.3 et 255, fig. 19.4). Un fragment de bord droit de 10 cm diamètre (Fig. 10: 1) porte un décor bleu clair d’épigraphie dans une cartouche verticale, similaire aux productions d’Almeria (FLORES & MUÑOZ, 1995: 251, fig. 19.3,5). Les bases de ces jarres sont annulaires, de types variés, dont une particulière avec un ressaut, portant un décor de tiges à feuille ou fleurette. Ce type de base semble trouver des similitudes avec les jarras d’Alméria (FLORES & MUÑOZ, 1995: 249, fig. 19.2, 4 et7). D’autres fragments de parois de panse portent un décor d’arabesques et de motifs géométriques et épigraphiques (Fig. 10: 3).
Fig. 10. Petites jarres
5. Les vases «Alhambra» (Fig. 11)
Les céramiques d’al-Mishwār n’ont livré, pour l’instant, qu’un unicum. Nous pouvons décrire les fragments d’une seule pièce qui n’a pas pu être recollée: il s’agit d’une partie médiane du vase à un col cylindrique de 20 cm de diamètre, avec un ressaut décoratif sous forme de méandres rectangulaires ou de festons et une panse évasée piriforme où l’on décèle les traces d’anses ailées. L’épaisseur des parois varie entre 0,9 et 2 cm, La pâte orange est de type B. Les décors, spécifiques, observés sur la surface externe sont de style arabesque, connus dans le répertoire des vases «Alhambra» lustrés. Ils combinent des motifs végétaux, animaliers et épigraphiques, peints en bleu sur fond blanc. Les traces de lustre cuivré y sont très peu visibles. Le décor est organisé en registres horizontaux comportant des motifs géométriques qui parfois enferment dans un cercle un motif épigraphique en cursif, ou animalier à motif de gazelle en mouvement tenant une tige avec des entrelacs végétaux. On a pu lire de l’épigraphie uniquement «[…] laka kul al-Afiya […]» («pour toi toute la santé»). Le style décoratif est attesté sur les céramiques du XIVe et XVe siècles d’Espagne. Les parallèles sont très évidents avec les vases de Grenade (VV.AA., 2002: 71-72), dont on suspecte la fabrication à Malaga.
Fig. 11. Vase «Alhambra»
6. Les albarelles (Fig. 12)
Ils sont identifiés comme pots à épices ou à pharmacie. Leur usage s’est répandu à l’époque nasride puis chrétienne (ZOZAYA, 1980: 289). Deux fragments sont inventoriés, un à bord arrondi éversé et col court cintré de 8 cm de diamètre, avec un décor en registres horizontaux de lignes, de chevrons et d’une partie de feuilles qui semblent être des feuilles-fleurs légères, cernées de tiges filiformes en bleu foncé. Le deuxième fragment est une base avec un début de panse cylindrique légèrement cintrée qui semble, d’après le décor, appartenir à la même pièce que le précédent. Ce type de forme de pot serait originaire de l’Orient musulman (SOUSTIEL, 1985: 176); il est connu en Iran oriental dès le IXe siècle et en Syrie entre le XIIe et le XIVe siècle pour le commerce des épices (VV.AA., 2002: 72). En Espagne, ces albarelles sont connus au XIVe siècle à Valence, à Manises et à Malaga, parés d’un décor bleu et lustré. Des similitudes sont observées au niveau du motif de la feuille-fleur avec le plat de la Samaritaine de Valence (VV.AA., 2002:116, fig. 1).
Fig. 12. Albarelle (production Valencienne)
7. Les couvercles (Fig. 13)
Nous avons inventorié un seul fragment de couvercle de type convexe muni d’un tenon annulaire de 6 cm. Il présente un décor épigraphique à l’extérieur avec la répétition dans un registre horizontal du mot «al-afia» et des motifs végétaux de l’intérieur en arabesque. Ce type de couvercle est similaire à ceux attribués à la période nasride découverts notamment à Grenade (FLORES & MUÑOZ, 1995: 262, fig. 19.10, 9-11 et 13).
Fig. 13. Couvercle
CONCLUSION
La céramique bleue et/ou lustrée de Tlemcen semble être de provenance andalouse pour la majorité des pièces et de centres chrétiens pour certaines d’entre elles. La diversité des pâtes et le style décoratif nous amènent à les attribuer à plusieurs centres de production, notamment Malaga, Alméria et Valence. Le problème de l’attribution chronologique est à relever quand il s’agit de l’apparition d’un style de production et son adaptation dans d’autres centres tel que c’est le cas pour la céramique de Malaga qu’on retrouve apparemment adoptée dans divers ateliers chrétiens.
L’étude de cette céramique nous a permis de constituer des groupes de production selon le style décoratif et la forme de l’objet quand cela est possible. C’est une approche provisoire et difficile étant donné l’état fragmentaire des objets et le manque de documentation sur le sujet. Nous avons à priori constitué deux types de productions distinctes:
- Une production du territoire nasride de la période allant de la fin du XIIIe jusqu’au XIVe siècle, pour laquelle nous avons attribué les fragments de céramique constitués de pâtes fines (A et B) à inclusions minérales fines et au décor au bleu de cobalt clair et/ou au lustre cuivré. C’est probablement une des régions connues: Alméria, Grenade ou Malaga qui avaient approvisionné le marché de Tlemcen. Cependant, cette attribution prête à confusion, sachant que le style de Malaga était également produit dans les ateliers de Valence (AMIGUES, 1995). Mais la forme de certaines coupes tronconiques, très présentes dans la collection nasride, ainsi que le style décoratif font pencher plutôt vers une origine nasride qui est à mettre en relation très probablement avec la production des ateliers de Malaga.
- Une deuxième, est liée aux productions de Valence de la période chrétienne (XIVe-XVIe siècle). Ce groupe s’individualise particulièrement par ses décors qui font partie du registre original des productions des ateliers chrétiens, particulièrement dans la région de Valence (ateliers satellites de Paterna et Manises), où le bleu est plus foncé et le trait plus épais, ainsi que des décors composés de motifs qui relèvent du répertoire des céramiques de Valence, telles les fleurs gothiques, les feuilles de persil et la fougère. Ce sont des motifs qui font partie du registre stylistique chrétien des ateliers de Paterna et Valence des XVe et XVIe siècles. On remarque que certaines formes de jattes et d’écuelles relèvent du même répertoire morphologique connu à cette période, ainsi qu’à la présence d’anses ou «oreilles» latérales plates, lobées ou simples, ajoutées aux écuelles, avec un décor au lustre métallique de feuilles filiformes éparses, de points et de traits ondulés «solfas». Ce sont également des motifs qui voient le jour dans les ateliers de Valence et Manises au XVe siècle. Le style décoratif en registres horizontaux sur la majorité des écuelles semble de production valencienne. Les coupes à motifs épigraphiques en bleu foncé est sans équivoque de production chrétienne valencienne. La provenance exacte de ces productions d’al-Mishwār devrait être déterminée par des comparaisons d’ordre technique avec des études physico-chimiques de pâtes.
En somme, cette première approche de la céramique bleue et lustrée de Tlemcen montre l’importance de ces découvertes dans des sites algériens pour la compréhension des relations commerciales et culturelles entre les deux territoires. D’autres découvertes ont été faites avec des collections plus importants qui sont en cours d’étude: les sites de Hunaïn, Agadir, al-Mansūra, Alger et Bijāya. Ce sont des découvertes qui pourront apporter d’autres données plus complètes d’ordre morphologique et stylistique, ainsi que la circulation de cette production au Maghreb central. Les relations qu’entretenaient les émirs d’al-Andalus ou les rois chrétiens avec le Maghreb ont favorisé la présence de cette céramique à la table des souverains musulmans du Maghreb (hafsides, mérinides et zayyānides).
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1. Maître de recherche au Centre National de Recherches Préhistoriques, Anthropologiques et Historiques, Alger, Algérie. Spécialiste dans le domaine de la céramique islamique du Moyen Âge au Maghreb Central (Algérie).