L’EVOLUTION DU CONCEPT DE PROPRIETE CHEZ LES PEUPLES DE COTE D’IVOIRE AU XXe SIECLE
Obikouho Jeanne-Josée Damanan
L’EVOLUTION DU CONCEPT DE PROPRIETE CHEZ LES PEUPLES DE COTE D’IVOIRE AU XXE SIECLE
Revista de Estudios Jurídicos, n° 24, 2024
Universidad de Jaén
EVOLUCIÓN DEL CONCEPTO DE PROPIEDAD ENTRE LOS PUEBLOS DE COSTA DE MARFIL EN EL SIGLO XX
THE EVOLUTION OF THE CONCEPT OF OWNERSHIP AMONG THE PEOPLES OF COTE D'IVOIRE IN THE 20TH CENTURY
Obikouho Jeanne-Josée Damanan * damananjosee@gmail.com
Université Alassane Ouattara, Côte d’Ivoire, Costa de Marfil
Reçu: 18 Février 2024
Accepté: 12 Avril 2024
Résumé: Dans l’Afrique précoloniale, les sociétés étaient régies par des systèmes traditionnels qui avaient adopté un concept de propriété très différent de celui qui prévaut dans les pays européens régis par le droit romain. En Afrique, la propriété est une valeur autant qu’un bien, un lien qui met en relation l’homme et la divinité, un droit qui s’inscrit dans une multitude de droits de lignage et de communauté : chacun peut donc obtenir des usages sur la valeur, mais personne ne peut, à proprement parler, s’en proclamer propriétaire, en disposer, le vendre ou le détruire. Lorsque le colonisateur français fait de la Côte d’Ivoire une colonie (1882), il enquête sur les droits traditionnels en fonction de ses propres catégories et régimes juridiques, afin de pouvoir modifier le concept africain de propriété. Cet article, à partir des enquêtes coloniales françaises de 1901-1902 et d’enquêtes personnelles récentes (2022-2023), cherche à comprendre comment le colonisateur français a cherché à introduire le concept français de propriété et à mesurer combien les peuples Baoulé, spécialement les Baoulé de Koliakro, ont résisté jusqu’à ce jour à la conception moderne de la propriété.
Mots clés: droit colonial; droit traditionnel; Côte d’Ivoire; peuple Baoulé; propriété; conflits fonciers.
Resumen: En el África precolonial, las sociedades se regían por sistemas tradicionales que habían adoptado un concepto de la propiedad muy diferente del que prevalecía en los países europeos regidos por el derecho romano. En África, la propiedad es tanto un valor como un bien, un vínculo que une al hombre con la divinidad, un derecho que forma parte de una multitud de derechos de linaje y de comunidad: todos pueden, por tanto, obtener usos del valor, pero nadie puede, en sentido estricto, pretender poseerlo, disponer de él, venderlo o destruirlo. Cuando el colonizador francés convirtió Costa de Marfil en colonia (1882), investigó los derechos tradicionales según sus propias categorías y regímenes jurídicos, con el fin de modificar el concepto africano de propiedad. Este artículo, basado en las encuestas coloniales francesas de 1901-1902 y en encuestas personales recientes (2022-2023), pretende comprender cómo el colonizador francés intentó introducir el concepto francés de propiedad y medir hasta qué punto los pueblos baule, especialmente los baule de Koliakro, se han resistido hasta hoy al concepto moderno de propiedad.
Palabras clave: derecho colonial; derecho tradicional; Costa de Marfil; pueblo Baule; propiedad; conflictos por la tierra.
Abstract: In pre-colonial Africa, societies were governed by traditional systems that had adopted a very different concept of property from that prevailing in European countries governed by Roman law. In Africa, property is a value as much as a good, a link that connects man and divinity, a right that is part of a multitude of lineage and community rights: everyone can therefore obtain uses for the value, but no one can, strictly speaking, claim to own it, dispose of it, sell it or destroy it. When the French coloniser made Côte d'Ivoire a colony (1882), he investigated traditional rights according to his own legal categories and regimes, in order to modify the African concept of property. This article, based on the French colonial surveys of 1901-1902 and recent personal surveys (2022-2023), seeks to understand how the French coloniser sought to introduce the French concept of property and to measure the extent to which the Baule peoples, especially the Baule of Koliakro, have resisted the modern concept of property to this day.
Keywords: colonial law; traditional law; Côte d'Ivoire; Baule people; property; land conflicts.
SOMMAIRE
I. Introduction. II. L’introduction du droit moderne de propriété en Pays Baoulé.1. L’interprétation de la propriété traditionnelle à la lumière du Code civil français. 2. La codification du droit traditionnel Baoulé. III. La résistance du droit traditionnel de propriété en Pays Baoule. 1. La résistance à l’égard de la propriété individuelle. 2. La résistance aux modes modernes de règlement des conflits fonciers. IV. Conclusión. V. Enquetes. VI. Bibliographie.
I. INTRODUCTION
La Côte d’Ivoire, pas plus que les autres pays africains colonisés, n’a pu échapper à l’action modificatrice des temps modernes. Les actions combinées de l’économie de marché, de l’urbanisme, du salariat, de l’individualisme et de la volonté d’enrichissement ont eu pour conséquence, l’introduction, dans les sociétés rurales, colonisées, de la notion de « propriété »1 au sens romain et français du terme. Du latin exproprias, la notion désigne à l’origine le caractère propre, spécifique, exclusif de l’absorption par le propriétaire de la chose qui est à lui. En droit romain, la propriété signifiait que les biens (corporels ou incorporels) étaient susceptibles d’appropriation. Les réinterprétations médiévales du droit romain, puis le développement de l’école du droit naturel ont à la fois transformé et accentué la relation entre le propriétaire et sa chose ; il bénéficie d’un ensemble de droits sur un bien incorporel ou corporel, lui-même bien meuble ou immeuble. Ces droits ont peu à peu été catégorisés : trois droits réels que sont l’usus (le droit d’utiliser la chose), le fructus (le droit d’en recueillir les fruits) et l’abusus (le droit d’en disposer, le cas échéant en la détruisant). Ce droit de propriété, en France, est consacré par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui en fait « un droit inviolable et sacré », un droit individuel que l’article 544 du Code civil vient préciser et limiter : « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou par les règlements » (El Hadj Soro S., et Bony, 2015, p. 217). D’un côté, le Code civil consacre les droits d’usus, de fructus et d’abusus en insistant sur leur caractère absolu, c’est-à-dire sans la limitation du groupe social, du lignage, des coutumes provinciales anciennes. Mais, de l’autre, le Code offre à l’Etat la possibilité de circonscrire la propriété par ses lois et ses règlements d’administration, par exemple pour maintenir l’ordre public, ou pour les besoins de l’exploitation des mines et des carrières, ou encore pour permettre les réquisitions, les préemptions, les expropriations pour cause d’utilité publique.
Or, le droit de la propriété, au sens occidental et moderne, ne correspond pas aux conceptions africaines traditionnelles puisque la propriété est le lien qu’un groupe (ou l’un de ses membres) établit avec une valeur sans nier les liens d’autres sujets avec la même valeur. C’est une valeur autant qu’un bien, ce qui signifie que personne n’en est vraiment le maître. C’est un lien, ce qui renvoie au fait que celui qui prétend posséder une chose, par exemple un cours d’eau, peut lui aussi subir le pouvoir de la divinité qui vit dans le cours d’eau. C’est un droit qui ne supprime pas les droits des autres sur la valeur, ce qui signifie qu’il n’y a pas un droit individuel exclusif, mais une multitude de droits de lignage et de communauté. Selon cette conception, chacun peut obtenir des usages sur le bien, mais personne ne peut, à proprement parler, s’en proclamer propriétaire, en disposer, le vendre ou le détruire. Ce droit de propriété traditionnel se distingue de toute évidence de celui du Code civil français.
Dans les pages qui suivent, il s’agira, d’une part, de comprendre comment le colonisateur français, en décidant de mettre par écrit les coutumes des divers peuples de Côte d’Ivoire, en 1902-1903, a cherché à y introduire le concept français de propriété et, d’autre part, de mesurer combien les peuples Baoulé, spécialement les Baoulé de Koliakro, ont résisté jusqu’à ce jour à cette conception moderne de la propriété.2
D’un côté, l’étude consiste à analyser les enquêtes menées par les agents coloniaux au début du XXe siècle à partir de l’impulsion donnée par Clozel, secrétaire général de la Côte d’Ivoire et gouverneur par intérim.3 Il décide en effet d’envoyer auprès des chefs coutumiers des agents chargés de leur poser un ensemble de questions afin d’établir clairement les règles juridiques applicables. Il se propose d’interroger les chefs à la lumière du Code civil français, en suivant pas à pas les livres, les titres, les chapitres et parfois même les articles du code, spécialement à propos du concept, des catégories et des régimes juridiques de la propriété (Néné Bi Boti, 2016, p. 499).
D’un autre côté, l’étude s’appuie sur notre propre enquête menée, en 2022-2023, en pays Baoulé de Koliakro. Elle permet de montrer que ces conceptions modernes n’ont été qu’en partie introduite. Ici, plusieurs réalités spirituelles, économiques et sociales ont permis de dresser des digues contre l’invasion des concepts modernes. 4
Cette double enquête sur le droit de la propriété des peuples de Côte d’Ivoire, s’inscrit dans une démarche historique, anthropologique, sociologique et juridique. Le clivage entre ces deux conceptions de la propriété reste en effet un sujet d’actualité. Il traduit un certain nombre de problèmes sociaux à travers le règlement des conflits liés au droit de la propriété. Il permet aussi au chercheur d’apporter sa contribution pour anticiper les problèmes liés au droit de la propriété. Il permet enfin de comprendre comment surgit le pluralisme juridique en Afrique sub-saharienne à partir de « deux modèles juridiques dont la coexistence d’un point de vue extérieur peut rendre problématique la production et la mise en pratique du droit. Le premier inspiré du modèle colonial s’applique à tous. Le second est le droit traditionnel, spécifique à un groupe ethnique. Cela va créer ce que l’on appelle le pluralisme juridique » (Néné Bi Boti, 2016, p. 499).
L’étude des questionnaires coloniaux conduit à montrer que la propriété traditionnelle a été influencée par les conceptions modernes tirées du Code civil (I) mais l’étude contemporaine en pays Baoulé de Koliakro montre que cette influence a été, en partie, contrée (II).
II. L’INTRODUCTION DU DROIT MODERNE DE PROPRIÉTÉ EN PAYS BAOULÉ
Du contact entre l’Occident et l’Afrique a résulté la confrontation de deux systèmes juridiques, conséquence de deux cultures différentes, voire opposées : d’une part, le droit coutumier (droit africain), d’autre part, le droit dit moderne (droit européen). Ce droit nouveau en terre africaine est présenté comme étant plus apte à répondre aux problèmes des sociétés (Diouf, 2014, p. 22). C’est l’une des raisons pour lesquelles le droit de la propriété traditionnelle a été influencé. Cette influence se justifie à travers une analyse du droit de la propriété axée sur le Code civil français (A) ; laquelle aboutira à la rédaction et à la codification du droit traditionnel de la propriété chez les Baoulé.
1. L’interprétation de la propriété traditionnelle à la lumière du Code civil français
L’Europe qui juge son droit supérieur à celui des autochtones ne manque pas d’afficher son intention, dès le début du contact entre les deux peuples, de substituer, à moyen ou long terme, le droit moderne au droit coutumier. Plusieurs stratégies ont été mises en place. L’une d’entre elles consistait à connaître et mettre par écrit les coutumes de Côte d’Ivoire : Malinké (les Mandés du nord), Gouro (les Mandés du sud), Dida Goboua de Guitry (les Krou), Sénoufo (les Gur), Baoulé (les Akans) et Abbey (les Lagunaires). Mais comment faire dialoguer un agent colonial et un chef traditionnel en sachant que l’un et l’autre ne pensent pas les règles de droit de la même manière ? Le colonisateur met au point un questionnaire que chaque agent colonial devra utiliser lorsqu’il interrogera un chef traditionnel et ses conseillers (Clozel et Villamur, 1902, p. VII et s). Ce sont environ quatre-vingt-dix questions, préparées par le gouverneur Clozel et Villamur (l’un de ses collaborateurs) qui interrogent les règles concernant la famille (parenté, tribu, monogamie, polygamie, régime dotal, etc.), la filiation, la tutelle et l’émancipation, la propriété, les successions, les donations et les testaments, les contrats, les prescriptions, le droit pénal général (classement des peines, tentative, responsabilité pénale, faits justificatifs), les infractions et les peines, l’organisation judiciaire, la procédure civile et criminelle pratiquée (Soleil, 2021, p. 5). Or, toutes ces questions sont formulées à partir des règles inscrites dans les codes français. Elles doivent être traduites dans la langue des peuples interrogées, avant que les réponses elles-mêmes ne soient traduites en langue française.
En pays Baoulé, à la question de savoir s’il existe une distinction entre biens mobiliers et immobiliers, entre propriété collective et propriété privée selon la nature des biens, les agents coloniaux rapportent:
« Il faut distinguer, lorsqu’il s’agit de la propriété chez les Baoulé, entre la propriété mobilière et la propriété immobilière. La propriété mobilière est individuelle et absolue, et l’origine de cette propriété consiste en la fabrication ou en l’achat de l’objet, s’il s’agit d’un produit industriel ou agricole, en l’action d’avoir extrait l’objet du sol ou d’un végétal (or, caoutchouc, vin de palme) ou de l’avoir tué à la chasse (gibier). La propriété immobilière est à la fois individuelle et collective, en ce sens qu’elle appartient en réalité au chef de la famille, qui, seul a le droit d’en disposer, mais que toute la famille en a la jouissance. Dans la propriété immobilière, il faut distinguer entre l’habitation et les terrains de culture [...] » (Clozel et Villamur, 1902, p. 107).
Le problème est que la double question (mobilier / immobilier, collectif / privé) a été posée aux chefs traditionnels selon des catégories juridiques du droit de propriété qui n’étaient pas les leurs. Si dans le Code civil français, on distingue les biens mobiliers des biens immobiliers, chez les peuples de Côte d’Ivoire et chez les Baoulé en particulier, cette distinction n’est pas la même. Ce peuple différencie plutôt les biens matériels (terres, forets, pagnes Baoulé, plantation, habitation, les cabris, les bœufs, etc.) des biens immatériels (le fait d’avoir de nombreux enfants à sa charge). La propriété matérielle pour certains biens n’était pas toujours individuelle et absolue. Pour d’autres biens matériels tels que la forêt et les terres, le caractère individualiste faisait défaut. Concernant les biens immatériels, la personne qui a à sa charge de nombreux enfants, est, en principe, la seule qui devrait bénéficier des avantages que ces derniers pourraient lui offrir. C’est un signe de respect et de richesse. Cette distinction n’étant pas la même, on peut comprendre la volonté coloniale de traduire les catégories juridiques et les régimes juridiques du peuple Baoulé selon les systèmes Français. Selon les lois coutumières, « le droit de la propriété est composé des biens mobiliers en la fabrication ou en l’achat de l’objet, s’il s’agit d’un produit industriel ou agricole, en l’action d’avoir extrait l’objet du sol ou d’un végétal (or, caoutchouc, vin de palme) ou de l’avoir tué à la chasse (gibier) et immobiliers (l’habitation et les terrains de culture) » (Clozel et Villamur, 1902, p. 107). En d’autres mots, les agents coloniaux ont cherché à faire correspondre la division biens matériels / biens immatériels à celle du Code civil français.
De même, les enquêtes visaient à interroger les chefs à partir des catégories usus, fructus et abusus, qui, évidemment, pour eux, ne signifiaient rien en dehors des exemples que pouvaient leur proposer les enquêteurs pour comprendre les trois concepts. Or, si les termes d’usus et de fructus ne sont pas étrangers aux réalités du droit de la propriété chez les Baoulé de Côte d’Ivoire, le terme d’abusus ou le verbe « disposer » quant à eux ne conviennent pas. Cette différence se perçoit à travers ce rapport des agents coloniaux : Le droit de propriété comporte la faculté d’user de la chose possédée, d’en recueillir les fruits et d’en disposer. [...] » (Clozel et Villamur, 1902, p. 109). Dans la société traditionnelle Baoulé, les termes disposer ou abuser sont des termes étrangers.5 En effet, chez eux, la vente de la propriété dans le domaine foncier rural est proscrite sauf pour certains biens matériels qui appartiennent à un membre de la famille tels que le gibier, les poulets, etc.6 La première conclusion est que les questions posées par les agents coloniaux aux chefs visaient, consciemment ou inconsciemment, à interpréter les règles traditionnelles à la lumière du Code civil français.
Notons également que les enquêtes s’intéressaient à la perte du droit de la propriété, à l’aliénation des biens et à la question des terres vacantes. À ces questions, les agents coloniaux affirment que:
« Si un individu ou une famille, propriétaire d’un terrain, quitte le village pour aller s’établir ailleurs, il ou elle perd ses droits à la propriété du terrain, mais n’importe qui n’a pas le droit d’user de ce terrain : il retourne à la propriété collective du village. Tous les ans, les chefs de famille de chaque village se réunissent : et, si des terrains se trouvent ainsi vacants par suite du départ de leurs propriétaires, on procède en commun à une nouvelle délimitation des terrains, de façon à ce que la totalité de la propriété collective du village soit à peu près équitablement répartie entre les familles » (Clozel et Villamur, 1902, p. 109).
Ce rapport des agents coloniaux traduit nettement le caractère étranger des questions posées pour comprendre et traduire le droit de la propriété chez le peuple Baoulé. En effet, chez les Baoulé, si un individu ou une famille, propriétaire d’un terrain, quitte le village pour aller s’établir ailleurs, il ou elle ne perd pas ses droits à la propriété du terrain. Ces droits ne retournent pas à la propriété collective du village. Chez ce peuple, le déplacement d’un individu ou le déplacement d’une famille d’un endroit à un autre n’est pas une cause de la perte du droit de la propriété. Le déplacement, qu’il soit motivé par des raisons personnelles ou indépendantes de la volonté de l’individu ou de la famille ne fait pas perdre les droits à la propriété. Le maintien du droit de la propriété en dépit du déplacement est un principe consacré en pays Baoulé. On peut comprendre H. Labouret lorsqu’il écrit : « le mot propriété, dont nous usons, ... au sens romain […] si crûment dessiné, ne convient pas ici (en AOF) : son seul emploi serait souvent source d’erreur » (1947, cité par Néné Bi Boti, 2005, p. 136). S’agissant des terres vacantes, si dans le code civil Français, ce principe n’est pas discutable, il en est autrement chez les peuples de Côte d’Ivoire et chez les Baoulé en particulier. En réalité, il n’existe pas chez ce peuple de terrains vacants suite au départ de leurs propriétaires. Toutes les terres ont un propriétaire. Toutefois, si un individu ou une famille manifeste l’intention d’utiliser la terre du propriétaire, il ou elle devra requérir la permission du propriétaire. On perçoit nettement la différence entre le sens des expressions « perte du droit de la propriété », « aliénation des biens » et « terres vacantes » pour le peuple Baoulé et pour le code civil Français. C’est justement cette différence qui prouve la volonté des agents coloniaux de faire converger les catégories juridiques et les régimes juridiques des Baoulé selon les conceptions françaises. Ainsi, selon les propos de ces agents, « si un individu ou une famille, propriétaire d’un terrain, quitte le village pour aller s’établir ailleurs, il ou elle perd ses droits à la propriété du terrain[...] et, si des terrains se trouvent ainsi vacants [...] on procède en commun à une nouvelle délimitation [...] » (Clozel et Villamur, 1902, p. 109).
Pour poursuivre, les agents enquêteurs avaient pour mission d’interroger les chefs sur le droit de débusquer dans une propriété privée et la liberté de pêcher et de chasser dans les cours d’eau. À cette interrogation, les agents coloniaux rapportent :
« On a le droit de chasser dans les propriétés privées, à moins qu’elles ne soient clôturées ou que l’accès en soit interdit par un signe de propriété ; mais en général on ne doit pas chasser sur une propriété cultivée sans l’autorisation du propriétaire. La pêche est libre dans les cours d’eau, partout et en toute saison (comme la chasse d’ailleurs) ; mais si un individu a établi dans un cours d’eau des nasses, des barrages ou des engins quelconques, ou si un chasseur a posé des pièges, le poisson ou le gibier capturé par ces moyens, même sur un terrain qui est propriété d’un autre, est la propriété privée du pêcheur ou du chasseur » (Clozel et Villamur, 1902, p. 110).
Sur le premier point selon lequel toute personne aurait le droit de débusquer dans une propriété privée, il faut noter que, c’est un principe général au Baoulé. « On a le droit de chasser dans les propriétés privées, à moins qu’elles ne soient clôturées ou que l’accès en soit interdit par un signe de propriété ; mais en général on ne doit pas chasser sur une propriété cultivée sans l’autorisation du propriétaire [...] » (Clozel et Villamur, 1902, p. 110). Cependant, ce principe connait une dérogation. En effet, chez le peuple Baoulé, on peut chasser de façon exceptionnelle sur une propriété cultivée sans l’autorisation du propriétaire. Cette exception est motivée par le fait que, le chasseur qui chasse un animal, étant pris par le temps, ne peut demander l’autorisation du propriétaire au risque de voir l’animal qui s’est infiltré dans le champ du propriétaire s’éloigner.
En revanche, on peut noter qu’effectivement « [...] la pêche est libre dans les cours d’eau, partout et en toute saison (comme la chasse d’ailleurs) ; mais si un individu a établi dans un cours d’eau des nasses, des barrages ou des engins quelconques, ou si un chasseur a posé des pièges, le poisson ou le gibier capturé par ces moyens, même sur un terrain qui est propriété d’un autre, est la propriété privée du pêcheur ou du chasseur » (Clozel et Villamur, 1902, p. 110). On peut retenir sur ce point que, si une partie des rapports des agents enquêteurs était une interprétation des règles traditionnelles à la lumière du Code civil Français, cela n’était pas toujours le cas pour d’autres règles dont la traduction par les agents coloniaux reflétait la réalité du peuple Baoulé. Au nombre de ces règles on note la règle traditionnelle rapportée par les agents enquêteurs selon laquelle :
« [...] Le domaine banal du village comprend, outre les savanes et les terrains rocheux improductifs, les alentours du village (généralement une ceinture de forêt plus ou moins épaisse), les chemins d’intérêt commun, les cours d’eau dans les parties qui traversent les savanes, et quelquefois une parcelle de région forestière demeurée banale de par la décision des chefs de famille du village » (Clozel et Villamur, 1902, p. 110 et s.).
Cette catégorie juridique reflète bien la conception du droit de la propriété chez les Baoulé. En effet, si on considère le domaine banal comme un endroit insignifiant, on peut convenir avec les agents enquêteurs, qu’il existe chez les Baoulé des domaines considérés comme banals, c’est-à-dire insignifiants pour la communauté villageoise. Ce sont des endroits qui ne sont pas productifs. On ne peut cultiver dans ces espaces. Mais ce sont des domaines qui peuvent aussi être des endroits sacrés. Toutefois, ce domaine, même banal, appartient à un propriétaire.7 On peut retenir que, quoiqu’il existe certaines catégories juridiques traditionnelles du droit de la propriété Baoulé qui n’ont pas été forcément interprétées par les agents coloniaux, ce droit de la propriété Baoulé reste essentiellement dans la majorité des cas différent de celui du code civil de la propriété Française.
L’influence du droit de la propriété traditionnelle Baoulé aboutie à la rédaction et à la codification du droit traditionnel de la propriété chez ce peuple.
2. La codification du droit traditionnel Baoulé
Une fois les enquêtes menées (1902), les rapports devaient servir à fixer les coutumes dans des textes officiels. La commission, reconstituée par Clozel en mai 1903, édicte en janvier 1904 le premier code des peuples de Côte d’Ivoire, le coutumier des Agni, un peuple du centre et de l’est de la Côte d’Ivoire (Villamur et Delafosse, 1904). L’objectif est multiple : il s’agit à la fois de les reconnaître et les protéger, de les faire connaître des tribunaux, de les officialiser (par conséquent, éviter l’arbitraire de ceux qui les manipulent) et de les modifier le moment venu. Il s’agit aussi, relève Mamadou Barro, d’un intérêt scientifique, ethnologique, sociologique et juridique à l’égard des coutumes africaines qui devaient offrir aux publics européens des données exploitables (Barro, 2017, p. 54). Pour les agents coloniaux, lespect des institutions traditionnelles n’exclut pas l’amélioration des coutumes. Au contraire, pour eux, il semble que cette amélioration est inscrite dans le processus coutumier lui-même que le colonisateur doit non seulement ne pas freiner, mais encore et surtout encourager. La rédaction des traditions juridiques de Côte d’Ivoire était donc le tremplin idéal pour opérer la régularisation et l’amélioration des normes coutumières, en faisant table rase des pratiques en trop flagrante opposition avec l’état social de la métropole, tout en conservant « le protocole formaliste des noirs » (Barro, 2017, p. 109). C’est ce qui justifie la rédaction et la codification du droit de la propriété des peuples de Côte d’Ivoire et des Baoulé en particulier.
Pour la commission Clozel, la rédaction des coutumes devait fonctionner comme dans la France d’Ancien régime : rédiger, officialiser, comparer les coutumes pour faire apparaître des principes de droit commun coutumier, en supprimer les éléments gênants, avant d’unifier le tout. Samba Thiam indique que la rédaction devait effectivement permettre l’unification du droit coutumier afin que les tribunaux puissent en assurer l’application (Barro, 2017, p. 101). Comme à Rome, ajoute-t-il, « la codification était une nécessité impérieuse pour la connaissance du droit de la propriété des peuples de Côte d’Ivoire » (Thiam, 2011, p. 57). Cette « codification était également nécessaire entre 1902 et 1903 d’autant plus que le droit de ces initiateurs se modernise au travers essentiellement de la codification » (Thiam, 2011, p. 79). Pour « le colonisateur, la codification s’imposait »8 et les règles du droit de la propriété devaient converger vers celles du Code civil français, spécialement au regard du droit de la propriété.
Or, il est bien connu que la mission civilisatrice de modernisation a échoué : la France ne parviendra pas à imposer sa culture, sa civilisation et son organisation juridique, judiciaire et institutionnelle aux populations autochtones (Diouf, 2014, p. 21). Cet échec est essentiellement lié à la résistance des communautés autochtones très attachées à leurs traditions. Tout a fonctionné comme si, les chefs et leurs conseillers avaient pris acte de la codification de certaines coutumes et les avaient laissés de côté, pour laisser les coutumes se développer indépendamment des textes officiels. Cela se vérifie lors de l’enquête en pays Baoulé. En effet chez le peuple Baoulé cet échec de la codification du droit traditionnel peut se vérifier au regard de la conservation de la distinction entre biens matériels et biens immatériels, alors que le colonisateur voulait tout interpréter selon la distinction entre biens meubles et immeubles.
De fait, la distinction biens matériels / biens immatériels est une distinction qui relève de la tradition orale, non écrite, connue par toute la communauté. Elle se transmet de génération en génération. C’est certainement dans l’objectif de créer une unité de droit de la propriété dans la colonie que les agents enquêteurs ont voulu rapprocher la distinction du droit de la propriété Baoulé de celle du code civil français, l’objectif à long terme étant de modifier ce droit par la suite. 9 André Cabanis le souligne :
« La référence à un certain nombre de notions françaises, pour ne pas dire d’origine romaine, telle la distinction entre immeubles et meubles, telles les notions d’usufruit ou de servitude [...] incite les rédacteurs à rapprocher les pratiques ancestrales dont ils constatent l’existence et des concepts occidentaux [...] une fois que l’assimilation est faite entre une institution coutumière et une règle française, de renoncer à chercher les caractéristiques authentiques de la norme africaine pour déduire de cette qualification européenne l’application des dispositions du code français dans ses aspects les plus datés, ceux qui concernent la propriété telle qu’elle était conçue au XIXe siècle » (Cabanis, 2015, p. 645).
Le rapprochement du droit de la propriété des Baoulé avec le code civil français n’a pas donné les résultats escomptés à cause de la différence profonde qui existe entre ces deux droits. Dômé Francis Yéo écrit également que : « le concept de propriété n’avait aucunement été accepté par les indigènes. D’ailleurs, dans l’entendement de ces derniers, la propriété dans son acception civiliste ne pouvait valablement s’appliquer à certaines choses (notamment la terre, les cours d’eau, les mines, etc.) » (Yéo, 2019, p. 81). Dans ces conditions, la codification du droit de la propriété Baoulé ne pouvait pas aboutir à cause de la résistance de la communauté locale. Parlant de l’échec de la codification des institutions traditionnelles, André Cabanis relève également :
« C’est sans doute dans le domaine du droit des biens que les implications sont les plus préjudiciables à cause des différences considérables existant entre les formes de possessions collectives très généralement privilégiées en Afrique et la propriété individuelle encouragée par le droit romano-germanique. Les administrateurs coloniaux appliquent au droit africain une grille de lecture qui peut aboutir à de véritables contre sens » (Cabanis, 2015, p. 645).
La codification devait aussi accompagner la disparition progressive de la propriété collective des terres au profit de la propriété individuelle, afin de garantir le développement économique et la libre circulation des biens dans la colonie. Sur ce point également, la résistance des communautés locales a été très forte. Dans la société traditionnelle Baoulé, on perçoit encore la continuité du caractère collectif de certains biens qui ne peuvent être aliénés sans le consentement des membres de la famille. En outre, la codification du droit traditionnel Baoulé avait pour objectif de faire connaître les règles traditionnelles du droit de la propriété par les juges. Cela se justifiait par le fait que :
« Les annotateurs des décisions judiciaires rendues aux colonies ont souvent occasion de souligner l’embarras que les juges éprouvent à rendre leur sentence, à raison de l’incertitude et de l’obscurité du droit privé indigène. L’interprétation judiciaire se ressentira donc avantageusement de la codification qui a rendu la loi claire et précise. Désormais, il sera facile aux magistrats d’appliquer un texte qu’ils connaitront aisément [...] Si les magistrats sont européens, la codification de la loi indigène, traduite dans la langue de leur pays, leur permettra de décider par eux-mêmes en toute certitude et sans être obligés de faire appel à l’avis de tel ou tel indigène dont l’autorité était officieusement accréditée et qui pouvait les induire en erreur, sans moyen de contrôle possible » (Solus, 1927, p. 194 et s.).
Or, il semble que rien ne garantit la véracité de la traduction des règles du doit de la propriété Baoulé par les enquêteurs européens surtout si les réponses aux enquêtes ont été données en langue indigène. Le défaut d’interprète ou la mauvaise traduction par l’interprète a pu prêter à confusion. Henry Solus l’affirme. L’un des obstacles à la codification « provient des difficultés mêmes que présente la connaissance du droit indigène. Lorsqu’on veut fixer par écrit le contenu et la portée d’une règle de droit, il est en effet indispensable de connaître très exactement celle-ci ; car c’est désormais la lettre du texte qui aura force obligatoire » (Solus, 1927, p. 197). La France n’est pas parvenue à moderniser le droit de la propriété des Baoulé en raison de l’opposition des communautés locales d’où la résistance du droit traditionnel de propriété en pays Baoulé.
III. LA RESISTANCE DU DROIT TRADITIONNEL DE PROPRIETE EN PAYS BAOULE
L’enquête menée dans le village de Koliakro situé à trois kilomètres de la ville de Bouaké prouve que les communautés locales ont protégé leurs traditions et ont, effectivement, résisté à la conception individualiste de la propriété. Ces résistances s’observent à travers les limites à la propriété individuelle (A) et les limites au règlement des conflits du droit de la propriété (B).
1. La résistance à l’égard de la propriété individuelle
Le droit de propriété des peuples de Côte d’Ivoire et particulièrement des Baoulé a été certes influencé, mais cette influence est restée limitée. Lors de nos enquêtes, les habitants ont insisté sur cinq principes qui ne correspondent pas aux conceptions modernes et françaises : la division des biens, le refus de l’abusus, le respect de la propriété collective, le refus de l’aliénation définitive et le maintien des droits de ceux qui se sont éloignés de leurs terres.
En premier lieu, en pays Baoulé, on a conservé la division primordiale qui s’appuie toujours sur le critère de la matérialité. On distingue les biens matériels (ex. terres, forêts, pagnes Baoulé, plantations, habitations, cabris, bœufs, or, caoutchouc, vin de palme) des biens immatériels (ex. le fait d’avoir de nombreux enfants à sa charge).
En deuxième lieu, si l’utilisation de la chose et la profitabilité des fruits de la chose correspondent à certains droits consacrés, chez les Baoulé, l’abusus fait défaut pour ce qui concerne certains biens tels que la terre. En principe, elle ne peut jamais faire l’objet d’une propriété privée. C’est un bien qui appartient à la famille, quoique le principe s’atténue avec la modernité. Ce caractère inaliénable de la terre fait dire à un fils du village de Koliakro : « La terre tue ! On ne joue pas avec la terre. Le chef de famille ne peut la vendre sans le consentement des autres membres de la famille ».10 C’est pourquoi, explique P. Koffi, fils de village à Koliakro, « un membre d’une famille peut s’opposer à la vente de la terre familiale. Et, ce, après l’achat de cette terre par l’acheteur. L’une des raisons qui sous-tend ce principe est, explique P. Koffi, que « dans la majorité des sociétés traditionnelles comme la société Baoulé de Koliakro, la terre est sacrée ». Certaines portions de cours d’eau appartiennent à une tribu ou à une famille.11 C’est le cas, par exemple, du cours d’eau Baoulé appelé n’Zué. Chez les Baoulé de Koliakro, le propriétaire d’un bien naturel peut être celui qui a découvert cette eau, même si le village, peu à peu, peut aussi l’utiliser : l’utilisation de cette chose par un individu requiert la permission au propriétaire. Il peut être « un bien familial et servir par ricochet de lieu d’adoration. C’est cette dernière raison, semble-t-il, qui ne permet pas à la famille d’en abuser. Autrement dit, en termes modernes, la famille propriétaire de ce cours d’eau possède l’usus, le fructus mais pas l’abusus. La raison est que les biens qui servent d’adoration ne peuvent être vendus. On perçoit l’application continue et permanente des règles locales chez les Baoulé de Koliakro. Cette limitation de la propriété privée s’observe également au regard d’autres biens tels que les terrains rocheux improductifs, les alentours du village, les cours d’eau qui traversent les savanes et les forêts. Ces biens ne peuvent fait l’objet d’une appropriation individuelle en raison de leur caractère collectif. Ce sont des biens qui appartiennent à des familles et qui sont mis à la disposition de la communauté. Au nom de la tradition, l’individu est privé du droit de propriété sur ces biens. L’usage du caractère collectif sur ces biens est un principe encore en vigueur chez les Baoulé de Koliakro.
En troisième lieu, la propriété collective fonctionne toujours. La terre « demeure, affirme Gane Diouf, un bien commun généralement limité à l’usage ou à l’exploitation, et par conséquent, elle ne peut faire l’objet d’une propriété individuelle ou privée » (Diouf, 2014, p. 241). Si la propriété peut être individuelle pour certains biens matériels, tels que le pagne, les poulets, les biens achetés avec ses propres moyens, d’autres biens matériels sont à la fois individuels et collectifs, tels le pagne qui sert de couverture pour accompagner le corps (le n’zié), qui est un bien hérité de la famille,12 et d’autres biens encore sont entièrement collectifs (or, pagnes Baoulé, terre, forêts, plantations) et ne peuvent être aliénés par le chef de famille sans le consentement des autres membres de la famille. Chaque membre dispose d’un droit sur ces biens. À cela, il faut ajouter la case, qui sert à l’individu aussi bien qu’à la famille et qui ne peut donc pas être aliénée. Dans ces conditions, le droit de la propriété envisagé par le code civil Français ne peut être appliqué chez les Baoulé de Koliakro.
En quatrième lieu, ceux qui ont répondu aux enquêtes insistent sur le fait que le départ d’une famille ne permet ni l’individualisation, ni la vente du terrain. Celas’explique, selon M. Norbert, de la façon suivante : « il existe plusieurs familles installées à Koliakro mais qui sont propriétaires de plusieurs terrains dans le village Broukro où ils étaient installés premièrement. Selon lui, ces derniers n’ont pas perdu leurs droits de propriété dans le village Broukro ».13 Ces « terrains, étant la propriété des familles, elles ne peuvent pas être attribués à n’importe qui ».14 Ces propos de T. Éhouman traduisent le caractère indivis de certains droits de la propriété géré par le chef de famille. Cela dénote la continuité du caractère collectif et inaliénable du droit de la propriété en dépit du déplacement des propriétaires. C’est également le cas des habitants de Bénou, installés dans le village de Gbegbessou en raison de la construction du barrage de Kossou. Les habitants s’étant déplacés pour éviter que l’eau n’envahisse l’espace, ont conservé leur droit de propriété et l’on donc récupéré par la suite.15
En cinquième lieu, chez les Baoulé en général et chez les Koliakro en particulier, la parcelle qui a été cédée par un propriétaire à un étranger pour y faire des cultures ne permet pas à ce dernier de l’aliéner. Il peut seulement profiter des fruits des cultures plantées sur la parcelle. Toutefois, il arrive que ce dernier avec le temps se réclame propriétaire. La cession de la terre dans la société traditionnelle Baoulé et chez les Koliakro peut être parfois source de malentendu ou d’interprétation de la part du bénéficiaire. En effet, comme l’explique Edmond Kwam Kouassi « les paysans qui croient toujours à cette façon d’attribuer la terre à autrui sont aussi confrontés à la mentalité de l’homme moderne qui, nourri au droit occidental auquel nos Etats ont souscrit, prend appui sur le droit moderne en évoquant les règles de la prescription acquisitive » (Kouassi, 2004, p. 146). Cette propriété acquisitive débouche sur la propriété privée réclamée par l’étranger, bénéficiaire du droit d’usage sur la terre. Or, comme le souligne un enquêté résident du village : « Une personne ne peut pas dire : "Je suis le seul propriétaire de la terre", encore moins s’il n’est pas de ce village. Si un membre de la famille veut vendre la terre, il doit rassembler tout le monde pour qu’on décide ensemble ».16 Ces propos traduisent le problème de la propriété privé chez les Koliakro. La mise en valeur de la terre durant une longue période ne garantit pas la propriété privée.17
Le droit traditionnel de la propriété chez les Baoulé est limité au regard de la propriété individuelle, cette limite se perçoit, également, au niveau du règlement des conflits fonciers.
2. La résistance aux modes modernes de règlement des conflits fonciers
Le droit traditionnel de la propriété chez les Baoulé de Koliakro est limité dans le cadre du règlement des conflits, car, en cette matière, les communautés locales préfèrent écarter le recours aux modes modernes de règlement des conflits, spécialement le recours aux tribunaux d’Etat, aux juges, aux avocats et aux preuves écrites (enregistrement, cadastre). Ce règlement de conflits concerne plus les conflits fonciers. Ainsi, K. Koffi, fils du village et instituteur à la retraite souligne que :
« Les conflits fonciers se règlent dans les villages. Selon lui, un conflit armé avait opposé son village (Koliakro) à un autre village voisin Sakassou (les Yalèbo) concernant la limite de la propriété du domaine rural. Pour régler le problème qui les opposait, les chefs des deux villages ont eu recours à un fétiche. Le fétiche, à son tour, a eu recours à une substance et à un témoin pour départir les deux villages. Si le témoin boit la substance et qu’il ne meurt pas, on considère dans ce cas qu’il a bien témoigné. Il devait en effet dire dans le témoignage à qui revenait la limite du terrain objet du conflit ».18
Le conflit peut naître aussi lorsque deux familles se disputent la propriété d’une parcelle de terre ou des limites de leurs terres respectives. Ainsi, lorsque ce conflit surgit, on se demande vers quel droit se diriger. La réponse à cette interrogation est donnée dans les propos rapportés par Th. Koffi. Selon elle :
« Les chefs ; une fois saisi par les demandeurs s’appuient sur le principe de la limite naturelle de la terre pour régler le conflit du droit de la propriété qui opposent les parties. Lorsque le conflit concerne la limite du terrain, le chef se réfère soit à la limite naturelle du terrain telle que l’eau d’un baffon (fôkô),19 soit à la limite artificielle telle que les pierres, les cailloux (wôbouè) qui déterminent la limite artificielle d’un terrain, les arbres plantés, les plantes et l’eau d’un baffon (aplôplô) ».
De même, le témoignage de G. Aka :
« Le règlement des conflits dans le domaine de la propriété chez les Baoulé de Koliakro se règle dans la majorité des cas dans le village à travers une plainte portée devant la chefferie. Mais avant cette saisine, les chefs des familles essaient de régler à l’amiable le différend. Le non satisfait saisit la chefferie qui se réunit par la suite pour trancher le litige après un débat de questions permettant de connaitre le fond du litige. Une fois le verdict prononcé, le non satisfait peut saisir les chefs d’un village voisin pour trancher de nouveau le litige. S’il n’est toujours pas satisfait, il saisit le chef de canton. Selon elle, pour trancher un litige qui avait opposé deux fils dudit village concernant la propriété d’un poulet, le chef du village après avoir écouté les témoins avait frotté du piment sur le corps de celui qui n’était pas le propriétaire ».20
Allant dans le même sens, un enquêté, S. Konan souligne qu’en cas de contestation du droit de la propriété, le non satisfait du règlement du conflit peut saisir de nouveaux les autorités coutumières. Il s’agit « d’une procédure qui consiste pour le non satisfait à saisir à nouveau le tribunal traditionnel. S’il est non satisfait, il fait recours au chef de village voisin puis au chef de canton. La procédure du règlement du litige se fait essentiellement par témoignage ».
Le recours aux chefs de village et de canton, avec témoignages et épreuves judiciaires, marque la résistance farouche du droit traditionnel en matière de conflits autour du droit de propriété. À cela plusieurs raisons. Premièrement, les communautés ont très vite compris que les modes modernes consistaient à écarter les autorités traditionnelles. Il s’agissait de substituer des juges aux chefs, ce dont les populations Baoulé se défiaient, aussi bien pour des questions d’intimité que de spiritualité. Deuxièmement, les communautés ont perçu que le droit moderne de propriété ne leur permettait ni de garantir la propriété des biens fonciers ni de connaître avec certitude l’état des droits réels dont ils étaient grevés (Ley, 1982, cité par Konan, 2022, p. 35). D’ailleurs, dès l’origine, la complexité de certains conflits ont contraint les agents coloniaux à faire appel aux chefs traditionnels. Troisièmement, les communautés ont perçu le risque de laisser faire l’Etat, lequel pouvait décider qu’une terre du village était sans maître pour s’en emparer. Or, explique Kra Koffi, chez les Baoulé de Koliakro, il n’existe pas de terres vacantes et sans maitres qui procureraient un avantage à l’État puisqu’elles sont toutes occupées par les communautés locales : chaque terre porte une identité familiale.
C’est justement cette identité familiale à la terre qui ne permet pas aux familles et aux individus d’avoir recours à la justice moderne en cas de conflits fonciers qui les opposent. Par exemple, « le fait de chasser de façon exceptionnelle une gazelle dans le champ du propriétaire sans son autorisation n’est pas en principe une cause de conflits, car, les villageois se comprennent et les chasseurs se promène partout dans les champs ».21 Cela dit, avec ou sans l’autorisation le chasseur peut chasser un animal dans le champ du propriétaire. C’est une situation semble-t-il qui est récurrente dans le village Koliakro et qui ne conduit pas les familles à recourir aux modes modernes de règlements de conflits fonciers. Dans ces conditions, on peut dire que l’attachement de la communauté aux modes traditionnels de règlement de conflits en matière de droit de la propriété met en avant la fraternité et la tolérance entre les membres de la communauté contrairement aux modes modernes de règlements de conflits fonciers ou l’individu ou les familles préfèrent porter l’affaire devant les juges judiciaires. Le recours aux tribunaux traditionnels se vérifie à travers le témoignage de Monsieur Bernard Kouadio. Selon lui, dans la société traditionnelle Baoulé et chez les Koliakro en particulier, il n’y a pas de barrière entre les propriétaires terriens et les chasseurs. Et s’il y a des dommages de simples excuses devant les autorités coutumières suffisent pour réparer le dommage causé. La crainte de l’incarcération de l’individu par le juge moderne conduit les individus et la famille à recourir aux modes traditionnels de règlement de conflits concernant le droit de la propriété.
Le conflit naît quand deux cultures se croisent ou un propriétaire terrien déplace les limites artificielles (pierres, arbres plantés) pour agrandir son espace. Les limites naturelles (arbres) sont aussi sources de conflits. Lorsque le conflit naît ; le choix des juges traditionnelles par la communauté s’explique dans les propos de Monsieur Aka fis du village : Ainsi ; selon lui : « Si deux personnes propriétaires de deux terrains ont du mal à retrouver les limites du fait du déplacement artificielle ou naturelle de la limite du terrain par un des propriétaires, le chef qui connaît plus ou moins les propriétaires terriens et la limite de leur terrain, les alentours du village est mieux placer pour régler le conflit. C’est pourquoi on préfère se référer à eux plutôt qu’à la justice moderne ».22 Ces propos traduisent la persistance du règlement de conflits du droit de la propriété chez les Baoulé et chez les Koliakro en particulier. Les conflits qui concernent le droit de la propriété sont réglés dans le village par les juges traditionnels sur la base de règles traditionnelles.
Ces règles se matérialisent à propos d’un conflit foncier qui oppose le village Adjéaokro au village N’Dakro.23 M. Richard, fils du village de Koliakro, raconte :
« Monsieur Adjéa chef du village Adjéaokro, village dont il porte le préfixe dans son nom, s’était marié avec une femme du village N’Dakro. Comme il n’avait pas de terre pour nourrir sa femme, les parents de l’épouse (ayant des terres à Adjéaokro et soucieux du bien-être de leur fille) ont cédé une partie de leurs terres à Adjéa. Au décès du chef Adjéa, les chefs qui lui ont succédé ont commencé à vendre les terres appartenant à la famille de la veuve d’Adjéa. Informé de l’aliénation des terres, la famille de la veuve a saisi le chef de famille. Débouté du jugement n’ayant pas reconnu de façon exclusive leur droit de propriété, la famille du village N’Dakro a saisi le chef de village puis la chefferie ».24
M. Richard affirme que, par la suite, « un imposteur s’est fait passer pour un chef de village Adjeaokro afin de saisir la justice moderne et vider le contentieux. Le juge moderne ayant fait droit à sa demande a remis une grosse au chef imposteur. Insatisfait, la famille du village N’Dakro (propriétaire des terres) a formé opposition. Le chef de canton ayant constaté l’ampleur du conflit s’est autosaisi en affirmant que : « les problèmes de terre ne concernaient en rien la justice moderne ».25 Pour lui, les terres objet de conflit doivent être loties et être partagées entre les deux villages, d’autant plus que le défunt Adjéa avait laissé des enfants dans le village Adjéaokro. Cette décision du chef de canton n’est plus susceptible de recours car, le chef de canton est le garant de toutes les terres. « Dans ces conditions, il est censé maitriser les questions qui touchent à la terre. Contrairement aux juges modernes qui sont étrangers à ces questions, ne maitrisant pas l’histoire des deux villages ».26
On retient que, dans le cadre du règlement des conflits liés à la propriété, même si les personnes peuvent jouer entre les diverses autorités à leur profit, la communauté Baoulé de Koliakro s’en remet plus volontiers aux autorités coutumières qu’aux juges modernes. La communauté Baoulé et celle de Koliakro a pu comprendre que le règlement des conflits fonciers ne peut être réglé que dans le village et par les autorités coutumières censées maitriser les règles relatives à ce domaine.
IV. CONCLUSION
En conclusion, tout cela signifie que, chez les Koliakro, le droit de propriété individuelle d’origine française et les juges qu’il a importés, posent toujours problème. L’un et l’autre sont suspects. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la terre à un caractère nourricier. Sur ce point, Séraphin Néné Bi Boti affirme qu’à « l’évidence, le rapport de l’homme à la terre s’inscrit dans une double quête : la quête de la nourriture matérielle et la quête de la nourriture spirituelle. Ainsi, la terre est à la fois grenier et temple » (Néné Bi Boti, 2005, p. 141). Ce caractère spirituel de la terre fait dire à Edmond Kwam Kouassi que : « la terre nourricière reçoit un culte dans le monde rural » (Kouassi, 2004, p. 133). C’est ce caractère spirituel de la terre qui ne permet pas à l’individu de l’acquérir à titre privé chez les Baoulé particulièrement ceux de Koliakro. Par ailleurs, selon Guy Kouassigan, cette suspicion est due au fait que « l’existence du droit de propriété dépend de la nature des objets sur lesquels il porte et celle des relations qui s’établissent entre l’homme et sa chose » (Kouassigan, 1966, cité par Yéo, 2019, p. 87). La propriété est ici le lien qu’un groupe (ou l’un de ses membres) établit avec une valeur. Il n’y a pas un droit individuel exclusif, mais une multitude de droits de lignage et de communauté. Le droit de l’individu sur la terre se confond avec les droits de la famille ou du groupe.
V. ENQUETES
Questionnaire utilisé par les agents coloniaux français auprès des chefs baoulé (1901-1902)
Le droit de la propriété comporte-t-il des facultés d’user de la chose, d’en recueillir les fruits et d’en disposer comme il les confère dans l’ancienne Rome et dans les législations Européennes actuelles ?
Quelle est la conception du droit de la propriété ou qu’est-ce que le droit de la propriété ?
Quels sont les composants du droit de la propriété ?
Ces biens peuvent-t-ils être aliénés ?
Par qui (est-ce les familles, le chef, la communauté) ? Sous quelle forme ?
Existe-t-il des biens appartenant en commun au village, à la tribu où à des groupements plus importants ?
Y-a-t-il une distinction entre les biens mobiliers et immobiliers ?
La propriété est-elle collective ou privée ou à la fois collective et privée selon la nature des biens ?
Existe-t-il des conflits en matière de droit de la propriété ? Si oui, devant quelle autorité se règle les questions liées au droit de la propriété ?
Il y-a-t-il des voies de recours en cas de contestation du droit de propriété ? Si oui, quelle est la procédure ?
Questionnaire utilisé par Obikouho Damanan auprès des communautés Baoulé de Koliakro (2022-2023)
Le droit traditionnel de la propriété comporte-t-il des facultés d’utiliser la chose, d’en recueillir les fruits et d’en disposer ?
Qu’est-ce que la propriété ?
Quelle est la composition du droit traditionnel de la propriété ?
Ces biens peuvent-t-ils être aliénés ?
Par qui (est-ce les familles, le chef, la communauté) ? Sous quelle forme ?
Existe-t-il des biens appartenant en commun au village, à la tribu où à des groupements plus importants ?
Y-a-t-il une distinction entre les biens ?
La propriété traditionnelle est-elle collective ou privée ou à la fois collective et privée selon la nature des biens ?
Existe-t-il des conflits en matière de biens des personnes ? Si oui, devant quelle autorité se règlent les questions liées aux biens des personnes ?
VI. BIBLIOGRAPHIE
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Notes
1
« Lorsqu’on parle du droit de la propriété, l’on fait très souvent référence au droit à la terre. Pourtant, la définition du droit de la propriété va au-delà de la terre. Chez les Baoulé, lorsqu’on discute du droit de la propriété, cela inclus aussi bien les biens matériels qu’immatériels. Les biens matériels sont composés des biens mobiliers qu’immobiliers. Au nombre des biens matériels, l’appropriation de la terre a toujours été une préoccupation majeure des populations négro-africaines » (Boni, 2015, pp. 6 et s.). Pour lui, la propriété qui se rattache à la terre ou du moins qui crée des rapports entre les hommes relativement à l’acquisition et à l’exploitation de la terre est appelée propriété foncière. Les biens immatériels feront l’objet de commentaires, cf. infra., p. 4 et s.
2
Koliakro est un village Baoulé situé en Côte d’Ivoire à trois kilomètres du centre-ville de la commune de Bouaké.
3
Le Gouverneur François-Joseph Clozel (1860-1918) est un administrateur colonial dont l’œuvre a été déterminante dans l’histoire juridique de l’Afrique Occidentale Française. Sa carrière administrative s’est déroulée en grande partie en Côte d’Ivoire, où il a occupé entre 1896 et 1908, successivement les fonctions d’administrateur, de secrétaire général, de gouverneur par intérim puis de gouverneur (Goulven et Arsene, 1918). Il a été à l’initiative de trois sources de travail inestimables : Clozel, 1906 ; Clozel et Villamur, 1902 ; Villamur et Delafosse,1904).
4
Analyse provenant de l’enquête menée auprès de la communauté villageoise de Koliakro, 10 mai 2023.
5
Ce principe connait une atténuation depuis l’apparition de l’État moderne qui a mis en place le système d’immatriculation des terres de la propriété immobilière. En 1906 déjà, le législateur colonial avait voulu imposer un système d’immatriculation complètement étranger à la conception coutumière de la possession des terres (Robert, 1955, p. 202).
6
[La propriété étant collective]
7
Le domaine banal peut appartenir à une famille. La communauté villageoise peut également adorer ce domaine dans un intérêt spirituel. C’est un endroit qui peut être avantageux pour l’intérêt général en ce qui concerne uniquement l’usus.
8
La codification a été largement précédée par la rédaction de la coutume : « Elle va constituer un vaste laboratoire qui permettra des analyses, des commentaires, des corrections jurisprudentielles et des propositions d’unification de la coutume. […] Les codificateurs disposent donc d’un instrument écrit déjà très élaboré, tant d’un point de vue synthétique que doctrinal et jurisprudentiel » (Longtin, 2001).
9
Les traditions indigènes varient d’une ethnie à l’autre. La propriété n’est pas exactement la même chez les Baoulé, chez les Dida, les Gouro ou les Sénoufo.
10
Entretien du 10 août 2023 avec S. Konan.
11
Entretien du 3 Juillet 2023 avec F. Kéké, chef de village.
12
Entretien du 10 août 2023 avec G. Kouakou, Planteur.
13
Entretien du 10 août 2023 avec M. Norbert.
14
Entretien du 10 août 2023 avec Tanoh Ehouman, Fils du village.
15
Entretien du du 10 août 2023 avec un anonyme, fils du village.
16
Entretien du 10 août 2023 avec T. Kouadio.
17
Entretien du 5 novembre 2023 avec M. Richard. Celui-ci souligne toutefois que, si la terre est un bien familial et ne peut en principe être vendue, il arrive que des individus vendent la terre à des particuliers. Selon lui, cela arrive très souvent lorsque ces individus sont confrontés à des problèmes financiers. Dans ces conditions, les autres membres de la famille font opposition à la vente. Il poursuit en affirmant que c’est cette situation qui crée les conflits fonciers chez les Baoulé en général et chez les Koliakro en particulier.
18
Entretien du 9 juillet 2023 avec K. Koffi.
19
Néné Bi Boti, 2005, p. 141.
20
Entretien du 10 août 2023 avec G. Aka.
21
Entretien du L. N’goran, Enquête dans le village de Koliakro, 10 août 2023.
22
Entretien du 10 août 2023 avec M. Aka.
23
Entretien du 5 novembre 2023 avec M. Richard, Témoin du règlement du conflit ayant opposé les deux villages.
24
Ibid.
25
Ibid.
26
Ibid.
Notes aux auteurs
* Assistante en Histoire du droit et des institutions
Information additionnelle
Comment citer
:
Damanan, O. J.-J. (2024). L’evolution du concept de propriété chez les peuples de Cote d’Ivoire au XXe siecle. Revista Estudios Jurídicos. Segunda Época, 24, e8689. https://doi.org/10.17561/rej.n24.8689