Jacques Ier et le projet d’union des couronnes anglaise et écossaise: anatomie d’un échec parlementaire (1604-1607)
Catherine Touche
Jacques Ier et le projet d’union des couronnes anglaise et écossaise: anatomie d’un échec parlementaire (1604-1607)
Revista de Estudios Jurídicos, n° 22, 2022
Universidad de Jaén
James I and the anglo-scottish union project: anatomy of a parliamentary failure (1604-1607)
Jacobo I y el proyecto de unión de las coronas inglesa y escocesa: anatomía de un fracaso parlamentario (1604-1607)
Catherine Touche * ketitouche@gmail.com
Universidad de Rennes 1, Francia
Reçu: 25 Juin 2022
Accepté: 10 Juillet 2022
Résumé: En 1604, Jacques VI d’Écosse, fraîchement couronné Jacques Ier d’Angleterre, lance un grand chantier : celui de l’union politique et juridique de ses deux royaumes. Pour mener ce projet à bien, il recourt à un procédé laborieux : deux commissions – une anglaise et une écossaise – préparent un « Bill of Union », qui est débattu devant deux Parlements – anglais et écossais. Le résultat, dans les deux royaumes, est un échec quasi-total si l’on exclut quelques corrections de rigueur du fait de l’union personnelle, notamment dans la région des Borders. Cet article se propose d’examiner les causes de ce revers, entre les « tracts of union », les relations tendues entre Jacques et le Parlement anglais, les obstacles techniques et les préjugés nationaux.
Mots clés: Écosse; Angleterre; Union; Jacques VI et Ier; Parlements; Commons; Common Law; Civil Law; Tracts of union; Borders; Bill of Union; Alexander Seton; Francis Bacon; Henry Savile; John Doddridge; Henry Spelman; Robert Pont; David Hume; John Russell; William Cornwallis; Edwin Sandys; William Maurice.
Resumen: En 1604, Jacobo VI de Escocia, recién coronado como Jacobo I de Inglaterra, lanzó un gran proyecto: la unión política y jurídica de sus dos reinos. Para llevar a cabo este proyecto, utilizó un laborioso proceso: dos comisiones -una inglesa y otra escocesa- prepararon un "proyecto de ley de la Unión", que se debatió ante dos parlamentos -inglés y escocés-. El resultado, en ambos reinos, fue un fracaso casi total si se excluyen algunas correcciones de rigor debidas a la Unión personal, especialmente en las Borders. Este artículo examina las causas de este revés, entre los "tractos de unión", las tensas relaciones entre Jaime y el Parlamento inglés, los obstáculos técnicos y los prejuicios nacionales.
Palabras clave: Escocia; Inglaterra; Unión; Jacobo VI y I; parlamentos; Comunes; Common law; Civil Law; tratados de unión; Borders; Acta de Unión; Alexander Seton; Francis Bacon; Henry Savile; John Doddridge; Henry Spelman; Robert Pont; David Hume; John Russell; William Cornwallis; Edwin Sandys; William Maurice.
Abstract: In 1604, James VI of Scotland, newly crowned James I of England, launched a major project: the political and legal union of his two kingdoms. To carry out this project, he used a laborious process: two commissions - one English and the other Scottish - prepared a "Bill of Union", which was debated before two Parliaments - English and Scottish. The result, in both kingdoms, was a near-total failure barring some corrections made necessary by the Union of the Crowns, notably in the Borders. This article examines the causes for this setback, ranging from the ‘tracts of union’ and the strained relations between James and the English Parliament, to technical obstacles and national prejudices.
Keywords: Scotland; England; Union; James VI and I; Parliaments; Commons; Common Law; Civil Law; tracts of union; Borders; Bill of Union; Alexander Seton; Francis Bacon; Henry Savile; John Doddridge; Henry Spelman; Robert Pont; David Hume; John Russell; William Cornwallis; Edwin Sandys; William Maurice.
Sommaire
I. Introducción. II. L’épreuve du consensus : « Commission for the Union », « Commissioun for the Unioun ». 1. Les premiers pas : composition et rôle des deux commissions. 2. L’Union au crible des opinions doctrinales. III. Le projet d’Union de 1604. 1. La suppression des lois hostiles et l’intégration des Borders. 2. L’union commerciale. 3. La naturalization. 4. Le droit pénal. IV. Le projet à l’épreuve des Parlements anglais et écossais. 1. La défense du « Bill of Union » devant les Parlements. 2. La réaction des Parlements : l’échec du projet d’Union. V. Conclusion. VI. Bibliographie.
I. INTRODUCTION
« […] le Parlement écossais devrait avoir le droit d’organiser un autre référendum s’il existe des preuves claires et durables que l’indépendance est devenue l’option préférée d’une majorité du peuple écossais - ou s’il y a un changement significatif et matériel […], comme le fait que l’Écosse soit sortie de l’UE contre notre volonté » (Biagi, 2020, p. 122).
Ce discours prononcé par le Scottish National Party (SNP) en 2016 met en lumière deux constats. Tout d’abord, l’Union de l’Angleterre et de l’Écosse n’a jamais été chose acquise pour une partie considérable de la population : en 2014, à la question « L’Écosse doit-elle devenir un pays indépendant ? », 44,70% des Écossais ont voté « oui ». Ensuite – et c’est une conséquence du premier constat – le sujet ne semble pas près de s’éteindre : au gré des changements politiques, le Parlement écossais s’exprime régulièrement sur la perspective d’un nouveau référendum.1 Ses discussions fréquentes nous interrogent sur les origines et les circonstances de la construction de l’Union. L’Acte d’Union qui fusionne l’Écosse et l’Angleterre remonte à 1707 ; il a été signé par la reine Anne (1702-1714), dernière souveraine de la maison Stuart. Mais cent ans avant elle, il convient de s’intéresser à un échec qui témoigne, dès le XVIIe siècle, de la grande liberté de critique des parlementaires : la tentative d’Union politique et juridique des deux royaumes entreprise par le premier roi d’Écosse et d’Angleterre, Jacques VI et Ier.
La figure singulière du premier roi d’Écosse, d’Angleterre et d’Irlande se dresse au tournant des siècles et des dynasties. Lorsque Jacques Stuart naît en 1566 à Édimbourg, la maison Stuart détient le pouvoir en Écosse depuis la fin du XIVe siècle ; cependant, les conflits avec l’Angleterre sont récurrents.2 Or Jacques est le fruit d’une union anglaise et écossaise : sa mère, Mary Ire reine des Scots, a du sang Tudor dans les veines ; son père, Lord Darnley, est un Stuart. Le règne de Jacques VI en Écosse (1567-1625) se distingue par sa stabilité : c’est le plus long de l’histoire du royaume, malgré des débuts tourmentés.3 Confronté dans sa jeunesse aux guerres de religion et de clans, Jacques VI forme vite le vœu d’une paix durable.4 Il instaure une relative quiétude religieuse en s’imposant comme le chef de l’église épiscopale, face aux catholiques et aux presbytériens (Craighead, 2008, p. 8). Il conduit également les principaux lords écossais à lui prêter allégeance.5 Lorsqu’Élisabeth Ire (1558-1603) meurt sans héritier Tudor, c’est Jacques, son petit-cousin, qui est son plus proche parent. Le 24 mars 1603, jour de la mort d’Élisabeth, Jacques VI est donc proclamé Jacques Ier, roi d’Angleterre et d’Irlande. Le 7 mai 1603, il entre dans Londres.
Il est bien accueilli par la population et par les nobles anglais, soulagés de cette transition sereine.6 Dans l’ensemble, dès la fin du règne d’Élisabeth, sa succession est jugée légitime et logique par les intellectuels – tant Anglais qu’Écossais.7 Malgré ce contexte au départ positif, les débuts du règne anglais ne sont pas simples. La relation entre Westminster et le « Craddle King » est mouvementée.8 Les contemporains du monarque, puis les historiens, ont longtemps dépeint un monarque faible, frivole, dépendant de ses favoris et même alcoolique.9 Les travaux récents dressent le portrait opposé (Mondi, 2007, p. 139). Si les deux visions ne peuvent être admises seules, il est probable qu’elles jouent de concert. Depuis son plus jeune âge, Jacques Ier est conscient de ses deux corps : il distingue celui de l’être humain, et celui, mystique, du roi (Williams, 1951, p. 86). À cette distinction temporelle, s’ajoute une dualité de caractères;10 comme le résume l’historien Macaulay, il y a bien deux hommes en un : « Un savant spirituel et cultivé qui écrivait, débattait et discourait longuement ; et un idiot nerveux, moulin à balivernes ».11
Jacques Ier fait son premier discours du trône devant les chambres réunies à Londres, le 19 mars 1604. Les parlementaires ont face à eux la part « lumineuse » de Jacques Ier : un homme lettré, d’une grande curiosité intellectuelle, défenseur des arts et auteur prolifique – que ce soit dans le domaine poétique, politique, théologique ou des sciences occultes. Presque un an s’est écoulé depuis son accession ; la marche des institutions a été retardée par une épidémie de peste.12 Le roi se lance donc enfin dans l’arène politique anglaise. Et il ouvre le chantier de l’Union, avec un discours qui pose les fondements de son projet. Le roi rappelle tout d’abord l’héritage de son illustre prédécesseur : Henri VII d’Angleterre a uni les roses York et Lancaster.13 Cependant, Jacques veut se montrer plus ambitieux encore : « […] l’union de ces deux maisons princières n’est en rien comparable avec l’union de deux royaumes anciens et fameux, et cette paix est attachée à ma personne ».14 Plus intéressant, il précise la manière dont il conçoit le rapprochement des sujets des deux nations. « Quand je parle d’une union parfaite, j’entends une union générale telle, que de la même façon qu’ils ont déjà un seul monarque, ils seront gouvernés par une seule loi ».15 Jacques Ier présente l’Union de l’Écosse comme un fait inévitable, l’œuvre pour laquelle il est venu au monde. Autre point important : le roi veut une union parfaite. Suivant sa théorie absolutiste inspirée par le continent, Jacques entend se servir de la législation pour réaliser l’Union et est optimiste quant à la réussite du projet. Il imagine que le Parlement travaillera docilement sous sa supervision, et fera les réformes nécessaires pour rapprocher les deux systèmes judiciaire et politique. En résumé, Jacques Ier compte unir l’Écosse et l’Angleterre « par le haut ». C’est une union parfaite des deux royaumes que Jacques Ier propose aux Parlements anglais et écossais en 1604.
Pour préparer cette réforme, l’instrument choisi est celui de la commission parlementaire. Les commissions anglaise et écossaise se réunissent de 1604 à 1607, afin de rédiger un projet de loi pour l’union des deux royaumes. Si elles doivent déjà trouver un consensus en leur sein (I), elles doivent par la suite défendre leur projet devant les Parlements. Leur travail, premier projet d’acte d’Union de l’Ecosse et de l’Angleterre (II), est enterré par le Parlement un siècle avant celui de 1707 (III).
II. L’ÉPREUVE DU CONSENSUS : « COMMISSION FOR THE UNION », « COMMISSIOUN FOR THE UNIOUN »
Alors que les commissions sont composées (1), l’Union est passée au crible par les juristes et hommes politiques (2).
1. Les premiers pas : composition et rôle des deux commissions
C’est en Angleterre que Jacques Ier entame le processus d’unification. Dès son arrivée à Londres, il crée une Commission for the Union. Elle est nommée par l’Union of England and Scotland Act en 1603.16 La Chambre des Communes y consent malgré une certaine réticence (Willson, 1956, p. 252). Quelques mois plus tard, le Parlement écossais réuni à Perth vote à son tour la nomination d’une Commissioun for the Unioun. Ce retard par rapport à Westminster refroidit quelque peu les représentants écossais. Ils se sentent relégués au second plan, malgré une lettre rassurante du roi. Contrairement à ce que veut Jacques Ier, les Écossais refusent d’ailleurs d’adopter une nomination dont le texte reprendrait mot pour mot l’acte voté par les Commons – une manière pour eux d’affirmer encore leur indépendance vis à vis de Londres. Ces premiers contre-temps semblent préfigurer des négociations difficiles.
Les commissaires à peine nommés se donnent rendez-vous le 20 octobre 1604, dans la Painted Chamber du Whitehall ; leur rencontre est soigneusement préparée. Comme les Lords of the Articles écossais, les commissioners anglais se voient confier la tâche de négocier en amont une union étroite des deux royaumes. Les détails techniques de l’Union leur sont confiés ; ainsi le roi parle-t-il dans l’Union of England and Scotland Act :
« Son excellente Majesté s’est réjouie de nous dire […] à quel point il désirait, vu son affection à l’égard des deux royaumes anciens et fameux d’Écosse et d’Angleterre, désormais unis dans l’allégeance et l’assujettissement loyal à sa personne royale […], que par une délibération rapide, mature et claire, se fasse une union qui rendra parfait cet amour mutuel et l’uniformité d’us et coutumes que Dieu Tout-Puissant dans sa providence a déjà initiée ».17
La Commission for the Union anglaise compte quarante-trois membres, et est confiée à Thomas Egerton, Lord Ellesmere (MacDonald, 2014, p. 252). Ellesmere partage l’ambition du roi de forger une union étroite (Anonyme, 1910). Mais dès le départ, Jacques Ier lui-même désire présider. Dans les faits, il suit tous les débats entre deux parties de chasse.18 Il n’hésite pas à orienter les commissaires vers ses propres idées (Willson, 1956, p. 252). La Commissioun for the Unioun écossaise compte trente-et-un membres. Elle est également dirigée par un juriste, avocat et juge de renom en Écosse : Alexander Seton, Lord Fyvie.19 Que ce soit du côté écossais ou anglais, les commissions se distinguent par leur homogénéité. Homogénéité de statut, tout d’abord : Jacques Ier souhaite expressément que les commissaires écossais soient sur un pied d’égalité avec les commissaires anglais.20 Homogénéité idéologique, ensuite : tous les commissaires, anglais comme écossais, sont fidèles au roi – mais aussi aux intérêts de leur pays d’origine (Galloway, 2003, p. 63).
Avant de se rencontrer, les commissaires négocient à distance pour établir un agenda et prévoir les sujets à aborder. Il est intéressant de remarquer que dès cette étape, certains thèmes considérables sont mis de côté : l’Église, le Parlement, ou encore l’union des lois (Galloway, 2003, pp. 63 à 64). Ce tri préalable explique en grande partie la réussite des travaux de la commission. En effet, les thèmes pouvant envenimer le débat ne sont finalement pas abordés, évitant ce qui pourrait heurter des susceptibilités nationales. Cela permet à la Commission de gagner en efficacité sur des sujets où il y a une chance de consensus. Ces sujets, énumérés par l’agenda, sont les suivants : l’union commerciale, la naturalisation des sujets, la suppression des lois hostiles de part et d’autre et le cas de la région des Borders (Galloway, 2003, p. 65). Chaque sujet fait l’objet d’un subcommittee, chargé d’épurer le débat avant que la Commission principale ne l’examine. Les commissaires se rencontrent dans la Painted Chamber avec neuf jours de retard, certains représentants écossais ayant été empêchés. La commission est un forum de discussion, avec une prépondérance de l’oral (Foster, 1983, p. 126). La plupart des écrits sont des travaux préparatoires réalisés en amont par les subcommittees (Foster, 1983, p. 63). Ce système permet des débats plus libres, mais favorise aussi les désaccords violents qui se produiront. Les discussions des deux commissions sont abondamment commentées par les auteurs de l’époque.
2. L’union au crible des opinions doctrinales
Tout au long de leurs réunions, les commissions tiennent compte des travaux des auteurs du temps. De nombreux penseurs renommés de l’époque se passionnent pour le projet de l’Union. Beaucoup sont membres d’une commission ; d’autres leur sont extérieurs. Ils formulent leurs idées dans ce que l’on appelle des « tracts of union » (« pamphlets de l’Union »). Si certains de ces tracts sont l’œuvre d’économistes et d’hommes d’église, nous nous intéresserons en priorité aux tracts majoritaires, publiés par des juristes ou des hommes politiques. Avant tout, il est intéressant de noter que dans l’ensemble, aucun auteur n’est contre l’idée même d’union ; car attaquer cette dernière, c’est attaquer l’union personnelle, et donc le roi lui-même. Les divergences résident dans le degré et la nature de cette union : doit-elle, peut-elle être parfaite comme le veut le roi ? Et si oui, doit-elle profiter à l’une des deux nations au détriment de l’autre ?
Les juristes jouent un rôle majeur au sein de la commission. Ils posent les soubassements de sa réflexion. Malheureusement, peu de manuscrits sont imprimés et la plupart disparaissent. Ceux qui subsistent aujourd’hui sont incomplets, et ne permettent qu’une étude partielle.21 Ils révèlent néanmoins que les spécialistes des questions politiques et constitutionnelles se montrent très inspirés par l’Union ; ils se penchent principalement sur l’union politique, et produisent une littérature abondante en la matière. Ils étudient les possibilités de rapprochement dans le domaine juridique, institutionnel, administratif ou en encore plus spécifiquement du droit pénal. En effet, la politique pénale étant traditionnellement utilisée par la royauté pour affirmer son autorité, c’est sous l’angle du droit public que la question du droit pénal est envisagée.
Concernant l’union juridique, la plupart des Anglais en ont une idée bien à eux. Ils la soutiennent, mais seulement si l’Écosse se fond dans l’Angleterre. L’Union serait donc l’annexion d’un royaume de moindre importance à un État fort. Ainsi, pour les juristes anglais, le seul système juridique que l’île unie puisse adopter est celui du common law. De façon étonnante, Jacques Ier, dans son discours de 1604 devant le Parlement anglais, prend la défense de ce système. Il l’appelle « the best of any law ». Ce délaissement du droit écossais s’explique surtout par des considérations pratiques. En effet, le droit écossais est un système hybride mêlant le ius commune romano-canoniqueet le common law anglais (McIlwain, 1918; Skene, 1609). Seuls les lettrés peuvent en connaître. Il est tributaire des sheriffs locaux, qui n’ont pas la confiance des sujets : en témoignent les recours quasi-systématiques devant le Council, juridiction royale, pour corriger les décisions locales. Dès 1406 et jusqu’en 1542, les prédécesseurs de Jacques VI – de Jacques Ier d’Écosse à Jacques V – s’efforcent de rendre ce droit plus accessible, de maîtriser les coutumes et juridictions territoriales ; mais le résultat est décevant. Dépassé, obscur, écrit-main en latin, le droit dont hérite Jacques VI n’a jamais pu être remanié jusqu’au bout (Craighead, 2008, pp. 9 à 11). Le droit anglais fait figure d’idéal par rapport à la situation écossaise : le common law est séculaire et solide. Construit par les juges, il s’adapte facilement à la société au fil des décisions individuelles, tout en assurant une justice bien établie grâce à la règle du précédent. Jacques Ier ne trouve que des avantages à ce système, par rapport à celui de son pays natal (Craighead, 2008, p. 15). Mais les auteurs anglais, tels que Sir Henry Savile22 ou Sir John Doddridge,23 se basent sur des raisons plus profondes. Selon eux, le common law est un système immémorial et immuable, datant d’avant les Romains, et qui convient parfaitement au caractère anglais. C’est le ciment de la nation, l’âme de sa politique (Galloway, 2003, p. 39). C’est également un système qui garantit mieux que tous les autres les droits fondamentaux. Les auteurs n’imaginent pas l’altérer par des éléments de droit étranger. L’union parfaite ne se fera que si l’Écosse soumet son droit au common law. Savile voit cette annexion comme le seul moyen d’asseoir la dynastie Stuart en Angleterre.24 Cette opinion est partagée par Doddridge dans A Brief Consideration touching the Union of the two kingdoms in the hands of one king en 1604, ou encore par Sir Henry Spelman25 dans Of the Union, la même année.
Les Écossais, de leur côté, se montrent réservés, voire hostiles à l’égard d’une union des lois. Ils déplorent le sentiment de supériorité, parfois le mépris dont font preuve les Anglais. La sauvegarde de leurs droits fondamentaux les préoccupe : ainsi, l’acte de nomination de la Commissioun insiste sur l’inviolabilité des « fundamentall lawes, ancient privileges, offices, richtis, digniteis and liberteis of this kingdom ». Il en est fait mention en préambule, mais également dans le corps du texte, qui a force légale (MacDonald, 2014). Plus généralement, les Écossais ne sont pas prêts à abandonner leur droit national, malgré ses défauts. Ils désignent ce droit par le terme juris propria (« droit propre »), et s’opposent à l’impérialisme anglais. Dans Ane Treatise of the Happie and Blissed Unioun betuixt the tue ancienne realmes of Scotland and Ingland, en 1604, JohnRussell met en garde contre l’altération des droits nationaux.26 La nécessité de garder deux droits distincts est également défendue par Robert Pont27 dans Of the Union en 1604, ou encore par David Hume28 dans De unione insulae Britanniae, tractatus secundus en 1605. Malgré ce choc de départ entre deux nationalismes juridiques, un certain nombre de pamphlets écossais évoquent une union des droits à long terme.29 En attendant, la position globale des Écossais – à court terme – penche en faveur d’une union aeque principaliter : il faut se contenter d’accorder à tous les habitants de Grande-Bretagne un statut et des droits égaux, tout en sauvegardant leurs lois locales (Mason, 2015, p. 5). Sir Francis Bacon,30 de manière accessoire, évoque la sauvegarde des libertés individuelles fondamentales spécifiques aux deux nations. Mais les libertés communes aux sujets « britanniques » peuvent être compilées dans un seul texte : la Great Charter (Irvine, 1670, p. 62). Dans A Treatise of the Happie and Blissed Unioun publié en1604, John Russell31 se penche également sur les lois fondamentales. Il insiste pour qu’elles soient maintenues dans les deux royaumes, avec quelques correctifs (Wijffels, 2000, p. 367).
Si les différents pamphlets témoignent d’un soutien global pour l’Union, il est remarquable de constater des divergences profondes quant au degré et à la nature de l’union juridique. Concernant l’union institutionnelle, les tracts of union s’expriment volontiers sur l’union des lois, mais très peu se penchent sur les institutions politiques et judiciaires. En 1604, Bacon, dans Certain Articles or Considerations touching the Union of the Kingdoms of England and Scotland, se montre audacieux. Il conseille une fusion des Parlements en un seul, reflétant la population des deux nations ; le nouveau Parlement serait ainsi composé d’un tiers de représentants écossais. Bacon va même jusqu’à inviter le roi à convoquer les Écossais à la prochaine session de Westminster, en usant de son pouvoir souverain (Galloway, 2003, p. 41). Il est rejoint dans cette proposition par son confrère écossais Hume, qui évoque l’établissement d’un British Parliament à York, en plein centre de l’île.32 Mais en dehors de cela, le sujet du Council n’est quasiment pas abordé. Il s’agit de laisser sa composition à la discrétion du roi.
Pour ce qui est de l’union administrative, seul Bacon propose une union au sein de l’administration inférieure, dans les offices notamment. L’écrasante majorité des auteurs anglais s’y oppose.33 Ils avancent des raisons pragmatiques. Par exemple, The Divine Providence met en avant la méconnaissance par les Écossais du droit anglais (Bien, 1988, p. 42). Ce refus est motivé par la crainte d’une immigration massive d’Écossais, exprimée notamment par Spelman. Néanmoins, l’union des couronnes est propice à l’ouverture potentielle des frontières, et attise donc la peur d’une vague d’étrangers. Les Écossais, quant à eux, ont une position différente. Ils promeuvent naturellement la mixité au sein des administrations, insistant sur le pouvoir discrétionnaire du roi et son impartialité en matière d’attribution de charges. Ils mentionnent avec une certaine amertume la méfiance anglaise, dont ils ont conscience. Selon eux, il n’y a aucune raison pour que les Écossais, sujets du même roi et donc ayant les mêmes droits que les Anglais, ne soient pas éligibles aux mêmes postes. Ainsi, Sir Thomas Craig34 préconise l’accès pour tous les britanniques aux fonctions publiques, sans discrimination, jusqu’aux fonctions judiciaires (Wijffels, 2000, p. 334).
Sur le terrain du droit pénal, Bacon fait des propositions intéressantes. Il considère qu’un rapprochement des droits pénaux enracinerait un rapprochement politique. Dans son Brief Discourse of the happy union of the kingdoms of Scotland and England, en 1603, Bacon présente le droit pénal comme prioritaire, devant une union générale des lois.35 Il est à noter que Bacon exclut d’office la question de la procédure. Il veille en effet à ne pas remettre en cause les administrations judiciaires et les coutumes locales (Irvine, 1670, pp. 57 à 58).
Au sein des tracts of union, la question de l’Union sur le terrain du droit privé semble délaissée par les juristes. Ledroit propre de chaque pays prime naturellement pour chaque royaume ; le débat sur l’union du droit privé est donc largement évité36 pour préserver les sensibilités nationales. De plus, les auteurs se concentrant principalement sur l’aspect politique de l’Union, il est naturel que le droit public occupe une place d’honneur dans les pamphlets. Malgré tout, certains d’entre eux évoquent le droit privé (Wijffels, 2000, p. 381). Cette évocation survient en fait lorsque les auteurs décortiquent leur juris propria : malgré des textes parfois très précis, aucune étude comparative des systèmes anglais et écossais n’est envisagée par les pamphlets. Seul Craig semble aller dans ce sens. Il cherche des points de convergence entre le droit écossais et le common law, remonte à leurs racines. Selon lui, ils seraient issus d’un même tronc : le ius feudale, un ensemble de coutumes locales dérivées du droit normand – qui lui-même se base sur la féodalité lombarde (Wijffels, 2000, pp. 374 à 375). Ce tronc a ensuite donné deux branches avec, côté écossais, une influence du droit continental et, côté anglais, l’indépendance d’un système propre. Cette thèse permet à Craig de pointer plusieurs matières semblables d’un côté et de l’autre de la frontière.37 Si les références au droit privé sont brèves chez Craig, elles le sont tout autant chez Sir William Cornwallis.38 Il évoque les droits des particuliers, mais ne dit rien sur leur unification (Wijffels, 2000, p. 385). Un pamphlet anonyme, A Brief Replication, fait de même (Wijffels, 2000, p. 385). Pour lui, l’union en matière de droit privé a des allures de vœu pieux.39 Ainsi, le droit privé reste le parent pauvre des textes sur l’union juridique.
Ce paysage nous montre que l’Union provoque un bouillonnement intellectuel des deux côtés de l’île. Elle donne lieu à des pamphlets variés, et oblige parfois les auteurs à s’interroger sur l’esprit même de leur droit national pour mieux le défendre. Car c’est l’idée principale qui ressort de cette étude : dès le départ, ni les droits fondamentaux, ni le droit privé, ni les coutumes, ni la procédure ne sont visées. L’union juridique et politique est vue par tous les auteurs comme une union a minima. En effet, elle semble étouffée entre deux pôles très forts, comme l’exprime Galloway : « Cette combinaison du caractère immémorial anglais et du patriotisme écossais apparaîtraient comme laissant peu de place à une union juridique ».40
III. LE PROJET D’UNION DE 1604
Les commissaires se rencontrent quotidiennement dès le 29 octobre 1604. Certaines personnalités se détachent : selon des témoignages de contemporains anonymes, une poignée de membres monopolisent la parole.41 Au total, le travail de la Commission dure moins de trois mois. Cette grande efficacité s’explique par trois raisons principales : tout d’abord, les sujets de discussion sont soigneusement « balisés » par l’agenda des travaux ; ensuite, les multiples écrits préparatoires en amont de la commission, réalisés par les subcommittees, ont purgé les principaux conflits pouvant émerger des sujets restants ; et enfin, les commissaires ont en commun de vouloir l’Union.42 Le 6 décembre 1604, la Commission met un terme à ses débats. Elle parvient à une liste de mesures à prendre pour réaliser l’Union des royaumes. Les historiens appellent cette liste Treaty of Union, Articles of the Union, Instrument of the Union ou encore Anglo-Scottish Treaty. Il serait aussi opportun de le qualifier de Bill of Union, puisqu’il s’agit d’un projet de loi. Ces dénominations nombreuses, utilisables indifféremment, témoignent de l’incertitude qui entoure ce document, dont il est aujourd’hui difficile de se procurer un exemplaire ; les copies originales ont failli disparaître. Pourquoi ce peu d’égards ? Sans doute parce qu’il s’agit d’un texte avorté : le Bill of Union n’a jamais été adopté dans son ensemble. Les divers ouvrages publiés au sujet de l’Union de 1603 n’offrent que de rares résumés partiels de l’Instrument de 1604. La transcription faite par John Spottiswood (1851) au XIXe siècle apparaît donc comme salutaire : elle fournit le texte complet de l’Instrument. C’est ce texte qui est commenté ici. Les cinq sujets abordés par le Bill of Union sont, dans l’ordre : la suppression des lois hostiles et l’intégration des Borders (1), l’union commerciale (2), la naturalization (3) et le droit pénal (4).
1. La suppression des lois hostiles et l’intégration des Borders
Premier dossier abordé par les deux commissions unies, la région des Borders présente un intérêt particulier.43 Elle comprend les burghs du sud de l’Écosse et les villes du nord de l’Angleterre. Elle matérialise la frontière, souvent incertaine, entre les deux royaumes. Sa situation géographique la met en première ligne de tous les conflits anglo-écossais durant le Moyen-Âge. Éloignée des deux gouvernements centraux, elle s’enclave et se réfugie sous la protection de clans, anglais comme écossais. Ces derniers enchaînent les raids entre les XIIIe et XVIIe siècles, faisant des victimes aussi bien écossaises qu’anglaises. Cette zone tampon entre l’Angleterre et l’Écosse présente des particularismes forts. Les borderers anglais et écossais s’entendent naturellement. Au fil des guerres, des lois nationales de circonstance interdisent cette entente : ce sont les lois dites « hostiles ». Les borderers anglais et écossais n’ont pas le droit de se marier, de se fournir des biens militaires ou alimentaires, de vendre ou d’octroyer une terre à une personne de l’autre nation, ou encore d’utiliser les places commerciales de l’autre nation (Galloway, 2003, p. 65). Mais dans les faits, ces lois tombent en désuétude à la fin de chaque conflit, sans jamais être abrogées. Un rapprochement s’opère entre les borderers des deux pays, bien avant l’union des couronnes.44 Le chardon et la rose le comprennent : déjà en 1597, Jacques VI et Élisabeth Ire nomment une commission jointe pour mettre un terme à l’anarchie et préparer un traité de meilleure justice. Les Borders se voient donc appliquer les prémisses d’une politique commune. L’initiative a des répercussions positives sur la région. Elle marque le recul des raids et le renforcement du contrôle royal.
Ce précédent fructueux fait des Borders un terrain d’expérimentation idéal pour la politique unioniste de Jacques Ier. Un subcommittee d’avocats est créé pour l’occasion. Contrairement au reste du territoire, une union des lois est envisagée. Cette union passe par trois tâches : la suppression des lois hostiles, l’abolition des border laws (coutumes propres à la région), et une réforme de l’administration judiciaire pour rendre effective une justice civile sur le territoire (Galloway, 2003, p. 85). Le 2 novembre 1604, le subcommittee en charge de la question transmet aux commissaires une liste des lois hostiles (Galloway, 2003, p. 64); les lois spécifiques aux Borders s’y trouvent. L’idée de les abolir s’impose naturellement, car l’opération est plutôt simple. Il s’agit d’abroger des textes pour la plupart déjà obsolètes, et ce de façon réciproque. Cette résolution figure en tête de l’Instrument.45 Les conséquences qu’implique ce passage sont considérables : si le Bill est adopté, les Anglais et les Écossais pourront – entre autres – commercer librement et se marier. Les borderers sont tout particulièrement concernées par les lois hostiles : c’est là, dans la zone de contact entre les deux nations, que les discriminations mutuelles se ressentent le plus. Mais si ce sujet est traité en priorité, c’est surtout pour son caractère peu conflictuel (Galloway, 2003, p. 65); les commissaires veulent mettre un terme à l’enclavement de la zone-tampon. Pour cela, ils suivent les recommandations des auteurs et les précédents en matière de coopération anglo-écossaise. Ils projettent d’abord de supprimer les lois spécifiques, et même le terme « Borders ».46 Pour l’occasion, les Borders changent de nom : elles deviennent les Middle Shires, littéralement les « Comtés du Milieu ».
Un deuxième paragraphe se penche sur l’impact d’une telle réforme sur les procédures criminelles en cours. En effet, la période est troublée dans les Borders, et Jacques Ier tient à affirmer son autorité face à des raids qui surviennent encore ponctuellement et oppriment les populations. Il s’agit aussi de s’assurer que les brigands déjà poursuivis sous le règne d’Élisabeth, soient effectivement arrêtés et condamnés. Les commissaires comptent sur le travail des agents royaux envoyés sur place, ainsi que sur les premiers traités de coopération entre les deux royaumes qui visaient, dès la fin du XVIe siècle, à pacifier la région.47
2. L’union commerciale
Le débat sur le commerce commence le 6 novembre 1604 et dure une quinzaine de jours. C’est le thème qui occupe la place la plus importante dans l’Instrument, ce qui démontre une vision assez concrète de l’Union. Les commissaires se montrent ambitieux. Ils confirment d’abord l’interdiction d’importer certains produits, en la généralisant à toute l’île britannique (Spottiswood, 1851, pp. 148-149). C’est ensuite l’épineuse question des privilèges qui est évoquée. Les commissaires ont entendu les craintes des juristes concernant l’inégalité entre Anglais et Scots, mais ils s’empressent de modérer ce qu’ils considèrent comme une exagération. La rédaction de l’Instrument témoigne d’une grande prudence, visant à ne pas blesser les sensibilités nationales.48 Afin de prévenir définitivement les éventuelles querelles, les commissaires préconisent l’envoi en France de quatre agents – deux anglais, deux Écossais. Ces agents devront étudier discrètement le marché, et vérifier si des avantages sont accordés aux commerçants d’une nation par rapport à l’autre.49 La même harmonisation est prévue pour les exportations depuis l’île.50 Plus emblématique encore : les commissaires prévoient la disparition pure et simple de la frontière commerciale entre les deux royaumes. Ainsi, les marchandises d’un royaume pourront bénéficier à l’autre sans faire l’objet d’aucune taxe, ni droit de douane.51 Dans le prolongement de l’ouverture des frontières, la taxe sur les marchandises étrangères ne doit plus être prélevée qu’une seule fois. Elles pourront ensuite circuler librement sur toute l’île britannique, à charge pour les commerçants de ne pas les faire à nouveau sortir52. La libre circulation des marchandises doit donc rester inhérente à l’île britannique : le but est de favoriser les échanges entre les deux royaumes avant tout.53 Afin de prouver que la libre circulation des marchandises reste interne à l’île, les commerçants devront utiliser un bond, c’est-à-dire un acte écrit et scellé. Les commissaires précisent les conditions de sa rédaction et les personnes habilitées à le signer.54 Point final de l’ouverture commerciale, les marchands anglais comme écossais pourront amarrer leurs navires dans tout port de l’île britannique indifféremment, et ils ne devront payer qu’une taxe unique, évitant ainsi des éventuels conflits de lois ou de coutumes (Keith, 1910, pp. 152-153).
3. La naturalization
La dernière partie de l’Instrument résulte d’un débat vif, dont le point d’orgue est atteint le 15 novembre 1604 (Galloway, 2003, p. 27). L’union des couronnes soulève en effet une question : les habitants de l’île britannique, doivent-ils tous obtenir un statut égal ? Autrement dit, peut-il y avoir une naturalization mutuelle des Anglais et Écossais ? Les divergences atteignent même un point tel que les commissaires finissent par s’adresser à Jacques Ier lui-même. C’est sa décision qui est adoptée dans le Bill, le 24 novembre (Galloway, 2003, p. 27). Ce détail a son importance : il peut expliquer pourquoi l’Instrument se montre au final si enthousiaste.
Au point de départ des réflexions sur la naturalization, se trouve la dichotomie entre post-nati et ante-nati. Les post-nati, sujets nés en Écosse ou en Angleterre après l’avènement de Jacques Ier, sont sujets britanniques. Ce statut inédit leur octroie tous les droits civils et politiques, sur le territoire des deux nations (Galloway, 2003, p. 153). Le paragraphe le plus long de l’Instrument concerne les ante-nati, soit les sujets nés avant l’avènement de Jacques Ier. Sur ce point, la solution apportée par les commissaires est intéressante. Le Bill fait preuve d’audace en prévoyant pour les ante-nati un statut quasi-égal à celui des post-nati.55 La fin du paragraphe octroie un pouvoir de « réserve » au monarque : les commissioners s’empressent de dire qu’ils ne peuvent en aucun cas altérer la prérogative royale. Ainsi, le Bill précise que Jacques Ier pourrait, malgré sa « sacred promise », utiliser son pouvoir discrétionnaire pour accorder droits et privilèges à toute personne – comme ont pu le faire tous ses prédécesseurs. Ces termes dithyrambiques prouvent l’empreinte très importante du monarque sur cette partie de l’Instrument (Spottiswood, 1851, pp. 154-155).
4. Le droit pénal
Si la Commission ne se penche quasiment pas sur l’union des droits nationaux, elle consacre malgré tout le dernier paragraphe de l’Instrument à la matière pénale. Il s’agit en fait de règles procédurales. Le document reprend en grande partie les travaux des juristes, notamment ceux de Bacon – un des commissaires les plus actifs. La fin de l’Instrument dessine un espace pénal britannique. Ainsi, les criminels ayant commis des infractions dans un royaume pourront être jugés dans l’autre. Cette disposition est jugée nécessaire dans plusieurs cas tels que le meurtre volontaire, le faux-monnayage ou encore le faux. Le texte vise donc des atteintes graves à la société, voire à l’État. Les Parlements des deux pays pourront compléter cette liste par la suite. Contrairement à ce que préconisait Bacon, cependant, les mœurs ne semblent pas concernées (Spottiswood, 1851, p. 155).
Voici donc l’intégralité des clauses du Bill of Union, tel qu’il est adopté par les commissions unies le 6 décembre 1604. Son préambule, jugé trop peu enthousiaste par Jacques, est remodelé pour y ajouter une exaltation forte de l’Union. Malgré cela, il faut admettre que le bouillonnement d’idées et de propositions de la littérature juridique contemporaine, que nous avons pu voir, semble largement sous-exploité. Plus généralement, comparé au champ d’action considérable promis par l’union des couronnes, l’Instrument est timide, voire décevant : à ce stade, avant toute discussion devant les Parlements, l’union juridique et politique prônée par une grande partie des auteurs est écartée. Pour preuve, elle n’apparaît ni dans les débats de la Commission, ni dans le Bill of Union. Que dire alors del’union parfaite, celle pour laquelle le roi se croit né ? Elle devient ce que l’écrasante majorité des auteurs en ont fait : une perspective radieuse mais lointaine.56 Si le rêve de Jacques Ier est déjà sévèrement amputé par la Commission préparatoire, disciplinée et ralliée à la cause royale, comment peut-on imaginer que les Parlements laissent à l’union parfaite une chance de survie ?
IV. LE PROJET A L’EPREUVE DES PARLEMENTS ANGLAIS ET ECOSSAIS
C’est en novembre 1606 que le texte est présenté aux Parlements des deux pays. Les commissaires redoutent la réaction des parlementaires ; leurs craintes sont justifiées. Les débats durent jusqu’en 1607 (1) ;ils se concluent sur un rejet quasi-total du projet d’Union (2).
1. La défense du « Bill of Union » devant les Parlements
Au départ, une session des Commons est prévue en février 1605 pour débattre du Bill of Union. Cependant, la session est déférée à deux reprises : d’abord pour novembre 1605, puis pour novembre 1606. Pourquoi ce retard ? D’après Bruce Galloway, le premier report de session viendrait d’une préparation insuffisante des Union-Makers (Galloway, 2003, p. 79). Le second report est une conséquence directe du Gunpowder Plot,57 dernier d’une série de complots contre le roi.58 Sa découverte est un soulagement qui rapproche – exceptionnellement – le roi et le Parlement anglais.
Tour à tour, des membres de la commission ainsi que leurs soutiens défendent le Bill devant les parlementaires. L’entourage de Jacques Ier est composé d’intellectuels : des juristes, des théologiens, des hommes d’État, tous des hommes de confiance partisans d’un projet d’Union ambitieux. Ce sont ces Union-Makers qui défendent le Bill. Il convient d’ores et déjà de préciser que les débats ne portent pas sur l’idée générale d’union : ils se concentrent sur les principes retenus par l’Instrument. Si cette limitation des sujets a rendu la commission efficace, elle ne produit pas le même effet sur le Parlement. Le débat prend vite des proportions considérables. Il dure sept mois. La Chambre des Lords, portée par Lord Ellesmere et Lord Cecil, est acquise à la cause royale (Galloway, 2003, p. 94). C’est de la Chambre des Communes que vient la plus grande résistance. Pourtant, des parlementaires éminents – dont certains ont fait partie de la Commission – tentent d’y promouvoir le projet. Francis Bacon est le plus important d’entre eux (Galloway, 2003, p. 94). Il est intéressant de remarquer que même au stade préliminaire, les Commons tentent d’affaiblir le débat en divisant l’examen du Bill en deux.59 Les commissaires font front contre cette idée. Lord Ellesmere s’y oppose avec véhémence, tout comme Sir Henry Montague.60 Ils défendent le principe d’une session pleine et ouverte sur tout le Bill, refusant que le texte soit éclaté entre les chambres. Ils sont soutenus par Francis Bacon et John Bond.61 Les Union-Makers parviennent à faire plier la Lower House : le projet sera donc lu en intégralité. Le 29 novembre, la Chambre des Communes crée un comité pour étudier le Bill. La Chambre desLords fait de même (Galloway, 2003, p. 96). Les comités doivent examiner le texte avant une Grand Conference, une réunion des deux chambres en assemblée plénière. C’est devant cette formation, réservée aux sujets les plus importants, que les débats s’enchaînent sur chaque domaine. Ceux qui se déroulent à Westminster témoignent surtout d’une chose : la majeure partie des réfractaires à l’Union basent leurs objections sur une défiance considérable à l’égard des Scots.
En décembre 1606, la Conference se penche sur les lois hostiles et les Borders. Comme devant la Commission, ce point est plutôt consensuel. La liste de lois hostiles élaborée par les Union-Makers est majoritairement utilisée. Cela n’empêche pas quelques points sensibles d’émerger. Par exemple, la pratique de l’escuage 62 dans les Borders doit être examinée par les Lords. Les parlementaires en profitent également pour mettre à jour des règles touchées par l’Union.63 Le projet d’abolition des lois hostiles est acté le 13 décembre 1606. L’Act for the utter Abolition of all memory of hostility 64 est adopté par les Commons en juin 1607, avec quelques amendements (Galloway, 2003, p. 126). On pourrait considérer cet acte comme le seul succès de l’Union parlementaire, mais ce ne serait pas tout à fait exact. L’abolition de lois hostiles déjà obsolètes, plus qu’une véritable exception à l’échec, ne fait que consacrer juridiquement une réalité déjà existante.
Le même mois, les parlementaires se penchent sur la question commerciale. Lord Ellesmere prend le parti des Écossais pour chasser des préjugés vivaces. Par exemple, les Anglais se plaignent de devoir commercer sur des navires de guerre trop lourds, et donc moins rapides, là où les Scots gagnent de précieux jours sur des cargos légers. Ellesmere rétorque qu’il arrive également aux Anglais d’utiliser ce genre d’embarcations plus petites (Galloway, 2003, p. 100). Au final, les craintes des Anglais semblent presque surréalistes quand on connaît le fossé qui sépare les deux économies. L’Écosse est en crise ; la pauvreté est accentuée par deux épidémies de peste successives – de 1584 à 1588, puis de 1597 à 1609. Les récoltes médiocres entraînent une importation massive de grains tout au long de la seconde moitié du XVIIe siècle. Les routes ne sont pas assez développées, les famines sévissent, et le système agricole traditionnel s’adapte trop lentement aux nouvelles technologies annonciatrices de l’industrie. Sur ces points, l’Angleterre est en bien meilleure santé. La région est sur le point d’éclipser la traditionnelle domination méditerranéenne, grâce au dynamisme de ses grandes compagnies privées. Contrairement à l’Écosse, l’exportation y est en plein essor et permet l’importation de biens de consommation depuis les Indes et les Amériques (Baten, 2016, pp. 13 à 15). Malgré cela, le projet d’union commerciale ne survit pas à l’épreuve parlementaire. Il est retoqué dans sa totalité. L’historien S.G.E. Lythe résume clairement les négociations en les qualifiant de « controverse dans laquelle les principes économiques furent désespérément submergés par un flot de préjudice national ».65
La naturalization est débattue de février à avril 1607.66 Il s’agit probablement du débat le plus âpre de la session. La résistance face à l’Instrument est immédiate. Là encore, la mauvaise réputation des Scots est prégnante dans l’esprit des Anglais. Le 13 février, Christopher Piggott, député et anti-écossais notoire, emploie des termes très virulents contre les Scots.67 À la peur de l’étranger, au sentiment de supériorité anglais, s’ajoute une myriade d’objections légales. Contester la naturalization par le biais juridique est en fait une parade : cela évite d’entrer en conflit frontal avec les prérogatives du roi, rappelées dans l’Instrument. La théorie des deux corps est notamment utilisée : la personne de Jacques contient deux couronnes. Les Scots ne peuvent prêter allégeance qu’à la Couronne écossaise, et les Anglais à la Couronne anglaise. Les Union-Makers prennent les attaques de plein fouet. Ils réalisent que même ce qu’ils pensaient évident – la naturalisation de droit des post-nati – ne l’est pas pour de nombreux députés, comme par exemple Sir Edwin Sandys.68 Dans le domaine de la naturalization, les Union-Makers subissent un échec cuisant. Le 2 mai 1607, les débats s’achèvent sans résultat. La naturalization est écartée pour les ante-nati ; quant aux post-nati, leur sort doit être étudié par les Lords.
Les échos des débats de Westminster – notamment concernant la naturalization – parviennent aux estates écossais. Face aux attaques contre leur peuple, leur réaction est vive. Le 11 août 1607, le Parlement écossais prend une décision qui peut paraître illogique : dans un Act Anent the Unioun of Scotland and England, il se contente de recopier et d’adopter l’intégralité de l’Instrument of Union. Mais cet enthousiasme est en vérité une provocation. Car à part les dispositions concernant les lois hostiles et les Borders, toujours consensuelles, les clauses de l’acte écossais sont suspendues « jusqu’au moment précis où les états anglais, par leurs actes et statuts, accorderont, octroieronnt et permettront la même chose ».69 De fait, cet unique article anéantit la majeure partie du projet. L’audace affichée des Estates devient dès lors plus compréhensible. Par cette tactique, ils souhaitent montrer leur soutien à leur roi, tout en pointant de manière incisive l’indécision de Westminster. À première vue optimiste, l’Act Anent the Unioun est apparaît en réalité comme un calcul politique aux allures de vengeance contre les parlementaires anglais.
C’est dans cette ambiance amère que le roi tente de faire survivre son projet d’Union. Malgré la nomination de commissaires, Jacques Ier ne reste pas inactif. Alors que les débats sur l’Instrument n’ont pas débuté,il projette de changer de style royal. Dès avril 1604, il demande au Parlement anglais de lui accorder un nouveau titre : King of Great-Britain (Willson, 1956, p. 252). Cette idée est encouragée par Sir William Maurice, parlementaire et ami personnel du roi (Williams, 1895, p. 59). Les Commons s’y montrent réticents. Leur refus devient définitif quand Maurice prend l’initiative maladroite mais symbolique de proposer au Parlement que Jacques Ier devienne « empereur ». Autre illustration marquante de sa participation au projet : le roi multiplie les discours. Au total, sur 21 ans de règne, il passe 33 mois devant le Parlement (Mondi, 2007, p. 139). Intervention après intervention, il martèle que l’union parfaite est la seule voie possible pour les deux nations. Le 31 mars 1607, en plein débat houleux sur la naturalization et après avoir envoyé Piggott à la Tour de Londres, Jacques s’adresse aux Commons. Il nie tout favoritisme à l’égard des Écossais, puis défend avec ferveur le Bill de ses commissaires (McIlwain, 1918, pp. 290 à 294). Il semble se résoudre à son contenu limité, même s’il n’est pas à la hauteur de ses premières espérances. Point par point, il exige des représentants plus de fraternité (McIlwain, 1918, p. 297). Enfin, Jacques n’hésite pas à viser personnellement certains parlementaires. Sa rancune envers ceux qui ne partagent pas son idéal est visible70. Néanmoins, ces mots forts n’émeuvent pas le Parlement. Le projet d’Union défendu par Jacques Ier et ses proches périclite dès 1607.
2. La réaction des Parlements : l’échec du projet d’Union
L’inertie du Parlement anglais, puis le faux enthousiasme écossais viennent de plusieurs facteurs convergents. Ces facteurs rendent impossible l’union politique, tout comme l’union juridique.
Plusieurs obstacles s’opposent à un rapprochement politique des deux nations. Tout d’abord, certains problèmes concrets restent insolubles : les parlementaires s’interrogent toujours sur des problèmes pragmatiques auxquels la commission et ses alliés peinent à répondre. Les premiers doutes viennent d’une lecture a contrario des dispositions de l’Instrument. Que faire de ce que le Bill n’évoque pas ? La religion, pourtant commentée par la littérature, est écartée. L’administration n’est pas évoquée non plus, sans doute parce que cela risque d’avoir une incidence sur l’organisation des Parlements eux-mêmes. Quant à la fiscalité, les Chambres ne la regardent qu’à travers le prisme commercial proposé par le Bill. Certains auteurs se posent la question d’une harmonisation fiscale entre les deux royaumes – dont Bacon (Irvine, 1670, pp. 62 à 63). Ils ne sont pas suivis. Le droit privé est lui aussi occulté, car non présent dans l’Instrument. Il est intéressant de noter que si ces thèmes sont mis de côté bien avant les travaux de la Commission, les Parlements ne les abordent pas non plus. Le second problème concret vient cette fois des clauses du Bill : les représentants ont le sentiment que les véritables difficultés n’y sont que survolées. L’inégalité commerciale entre les deux pays est évacuée en quelques lignes ; les détails techniques de la libre-circulation semblent superficiels par rapport à l’ampleur du projet. Non seulement l’Instrument ne couvre qu’une partie des innombrables questions posées par l’Union, mais en plus les questions abordées ne le sont pas dans leur totalité.71
Deuxième frein à l’union politique : l’incompréhension mutuelle entre Westminster et le roi. L’hostilité du Parlement anglais envers Jacques est notoire.72 Jacques Ier, en tant qu’Écossais, est influencé par les écrits des absolutistes continentaux – notamment français ; c’est un partisan de la monarchie absolue de droit divin, théorisée notamment par Jean Bodin.73 Cette conception de la monarchie entre en opposition avec celle du Parlement anglais. La situation s’empoisonne quasiment dès la première ouverture de session parlementaire. Le début du XVIIe siècle marque un tournant dans la relation entre les deux institutions, avec une montée de la puissance royale face au corps solidaire et épris de liberté qu’est la chambre des Communes.74 Jacques Ier tente de transposer sa théorie absolutiste au système anglais (Wijffels, 2000, pp. 363 à 364.). Son échec n’est pas une surprise ; ses positions effraient parfois les représentants.75
Mais expliquer le conflit entre le Parlement et Jacques seulement par l’intransigeance de ce dernier, serait erroné. Selon l’historienne Megan Mondi, le roi semble ouvert au compromis, et manifeste une certaine sagesse dans ses discours.76 En fait, Jacques Ier apparaît comme son propre ennemi. La multiplication de ses interventions devant le Parlement est symptomatique : elle révèle sa frustration face à l’inertie parlementaire, mais aussi son incapacité à rallier les Commons à sa cause. Les représentants tendent parfois à s’en lasser : en juin 1607, en plein débat sur les lois hostiles, Jacques se fait si intrusif qu’une motion est déposée pour lui demander de limiter ses communications avec les Commons (Galloway, 2003, p. 125). Il faut ajouter que les représentants voient d’un mauvais œil le train de vie fastueux du monarque, qui dilapide l’argent du royaume. Lorsque Jacques arrive à Londres en 1603, il est plus pauvre que la plupart des nobles locaux.77 La question financière devient une source de tensions multiples entre Jacques et les Commons ; elle le décrédibilise dans ses projets, dont celui de l’Union. Pour finir, il est possible que la personnalité même de Jacques ne soit pas acceptée par le Parlement. La confiance aveugle du monarque en lui-même est à rappeler. Il arrive en Angleterre avec une idée déformée, idéalisée du pays, en s’attendant à une convergence de tous les esprits vers sa personne. Cela aussi peut expliquer l’agacement de Westminster.
De même, unir les systèmes juridiques des deux royaumes semble inenvisageable. Le poids des juris propria est trop ancien et trop lourd pour être surpassé. À part sur les lois hostiles, le droit est majoritairement évité par les représentants : sans doute représente-t-il un chantier trop vaste. Les débats abordent la question du droit entre mai et juin 1607, durant l’adoption de l’Act for the utter Abolition of all memory of hostility. Des discussions sur la procédure pénale émergent alors ; néanmoins, elles révèlent de multiples complexités techniques auxquelles l’Instrument ne songe pas : la détention provisoire d’une personne de l’autre nation, son extradition, ou encore l’harmonisation du système de témoins, par exemple (Galloway, 2003, pp. 120 à 127). En vérité, aucune réforme d’ampleur n’est envisagée – et encore moins mise en œuvre – dans le domaine juridique pour rapprocher les deux royaumes.
Deux explications peuvent être avancées quant à la difficulté de l’union juridique. D’une part, le caractère intrinsèquement différent des deux systèmes juridiques, de leur construction à leur développement contemporain ; d’autre part, le fait qu’aucun parlementaire ne propose un travail comparatif des systèmes anglais et écossais. Durant tous les débats, les deux modèles juridiques que l’on souhaiterait rapprocher ne sont jamais confrontés dans leur globalité. Il y a certes des exercices de comparaison tentés chez des auteurs, notamment le Ius Feudale de Craig, mais les Commons les ignorent. Ce constat a de quoi surprendre un chercheur actuel ; car la confrontation de deux modèles apparaît aujourd’hui nécessaire lorsque l’on projette leur uniformisation.
La question juridique semble en fait traduire la réaction générale des parlementaires face à l’Union même. Des détails très techniques sont discutés sans recul, sans appréhension du principe même d’Union ; lorsque la théorie de l’union parfaite est effleurée, elle est remise en question. La controverse sur la naturalization est emblématique de cette impasse ; en effet, le débat prend une telle ampleur que chacun cherche des arguments de plus en plus hauts dans la hiérarchie normative afin d’appuyer sa position. Par ce mécanisme, certains participants remontent jusqu’au principe d’union. Ils semblent se rendre compte que les débats n’avanceront pas sans une mise au point sur l’esprit du projet. Ainsi, à partir de février 1607, deux camps se font face au sein du Parlement. Les détracteurs de la naturalization prônent une Gradual Union ; ses avocats – dont le roi – défendent la Perfect Union.
Survient alors un épisode qui mérite d’être noté : lorsque les débats cessent le 2 mai 1607, il faut attendre la fin du mois pour que des Commons se bornent à réclamer une nouvelle conférence ; en réponse, Sandys tente de faire adopter la nomination d’une nouvelle commission pour l’Union. Différence majeure, celle-ci devrait se pencher sur tous les aspects de l’Union, et non plus seulement les thèmes choisis pour le Bill (Galloway, 2003, p. 117). Si sa proposition déstabilise le Speaker lui-même, elle n’est pas isolée. Sandys est soutenu par d’autres parlementaires. Ensemble, ils affirment que leur volonté de discuter la Perfect Union n’est pas qu’une diversion. En gage de sincérité, ils ajoutent même qu’ils sont prêts à adopter une naturalization restreinte – mais qu’elle s’éteindra dans quatre ans si l’union parfaite ne se dessine pas (Galloway, 2003, p. 117). Si cette proposition n’aboutit pas, il s’agit probablement de l’unique tentative de théoriser la Perfect Union de la part des parlementaires.
V. CONCLUSION
L’union juridique et politique des deux royaumes est un chemin de croix pour le roi et ses soutiens. Marqués par plusieurs siècles d’hostilité, les deux peuples se jaugent, voire se méfient l’un de l’autre. Les histoires nationales, les modèles juridiques divergent trop. Mais il convient de rappeler que la prudence originelle des commissioners dans la rédaction de leur Bill n’offre pas des bases idéales aux débats, et que Jacques Ier se dessert en intervenant trop auprès des Commons. Au final, au terme des débats de 1606-1607, seule subsiste la suppression des lois hostiles. Le reste de l’Instrument est abandonné, aucune autre commission n’est nommée. Dès juillet 1607, l’Union disparaît des agendas des Parlements.
À l’époque pourtant, le Parlement écossais est plutôt docile, et le Parlement anglais n’a pas le poids qu’il acquiert à la fin du XVIIe siècle. Jacques Ier pourrait théoriquement régner en monarque absolu, tout du moins museler les Communes comme l’a fait Élisabeth. Aucune constitution écrite ne délimite les pouvoirs respectifs du roi et du Parlement. Il choisit pourtant d’opérer l’union juridique par voie parlementaire – et le Parlement la rejette en bloc. Pourquoi ce choix de parcours ? Retracer les grandes lignes de cet échec nous permet de l’attribuer à la confiance aveugle de Jacques en sa destinée. En 1604, il attend des Parlements un élan de fraternité et la consécration flamboyante d’une île unie – une « Great Britaine » (Galloway, 2003, p. 120). Son idéalisme transparaît en 1607, lorsque dans un nouveau discours devant les représentants, Jacques précise : « […] il n’est pas plus possible pour un seul roi de gouverner deux pays voisins, l’un grand, l’autre plus petit, l’un riche, l’autre plus pauvre, que pour une tête de gouverner deux corps ou pour un homme d’être le mari de deux femmes ».78
Cette phrase est déterminante : elle synthétise les différences des deux royaumes, auxquelles le roi se trouve confronté dès son arrivée en Angleterre. Leur conciliation paraît difficile ; c’est pourtant leur coexistence distincte que Jacques estime contre nature – et ce, un siècle avant la signature des Actes d’Union par sa descendante la reine Anne. Finalement, si le mariage des deux royaumes n’a pas lieu en 1604, c’est peut-être parce que la vision de Jacques Ier était trop précoce ; parce que les deux fiancés, anglais et écossais, ne partageaient pas l’enthousiasme de celui que l’historien William Lloyd McElwee surnomme « The wisest fool of Christendom ».79
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Notes
1
À ce sujet, voir Biagi, 2020; Thiec, 2021; Leydier, 2020.
2
Tentative notable de rapprochement, le Treaty of Perpetual Peace est signé en 1502. Il est censé – comme l'indique son nom – établir une paix éternelle entre les deux royaumes, grâce au mariage de Jacques IV d’Écosse (1488-1513) avec la fille d'Henri VII d'Angleterre (1485-1509). Ce mariage unit les lignées Stuart et Tudor, et permet à terme l'accession de Jacques VI au trône anglais. Le traité est rompu dès 1513 : Jacques IV envahit l'Angleterre en soutien aux français, au nom de la Auld Alliance. Le dernier conflit armé anglo-écossais dure de 1547 à 1550. Il est aujourd'hui connu sous le nom de Rough Wooing. Littéralement la « cour brutale ». Le terme est employé à partir du XIXe siècle pour résumer le but de cette guerre : Henri VIII d'Angleterre (1509-1547) souhaite profiter de la mort de Jacques V d’Écosse (1513-1542) et de la faiblesse de la jeune reine Marie Stuart, pour la marier à son fils et unir les deux royaumes. Le conflit est synonyme de pertes considérables pour les Scots : lors de la seule bataille de Pinkie Cleugh, 10 000 de leurs hommes périssent. Ce jour est depuis appelé Black Saturday par les écossais. À ce sujet, voir Merriman, 2000; Dickinson, 1954, vol. 3, pp. 59 à 60.
3
Voir Croft, 2003; Willson, 1956; Stewart Jr., 1996/1997.
4
La violence atteint un pic lors de l'épisode du raid de Ruthven : le 22 août 1582, le roi, encore adolescent, est senlevé et retenu prisonnier par des aristocrates écossais. Cette conspiration politique est menée par William Ruthven, Earl de Gowrie. Elle vise principalement à mettre Jacques hors de l'influence de son favori de l'époque, Esmé Stuart, duc de Lennox. La noblesse craint en effet que ce dernier ne pousse le roi à affirmer son règne personnel. La conspiration est un succès en ce qu'elle oblige Lennox à fuir l’Écosse – il meurt seul en Italie quelques années plus tard. Jacques ne reverra jamais son amant. Mais d'une façon ironique, ces quelques mois décisifs marquent le début du règne personnel de Jacques VI. Quand il se libère après dix mois de captivité, il sort de cette « parenthèse » en grande colère ; colère qui lui sert de moteur pour s'imposer. S'il pardonne d'abord à Gowrie, celui-ci est finalement décapité en 1584 pour haute trahison (Williams, 1951, p. 44).
5
Voir Wormald, 1991.
6
Le caractère paisible de son accession au trône peut étonner ; en vérité, sa succession a été préparée en amont. Dès 1601, alors que la santé de la reine Élisabeth décline, plusieurs de ses proches – notamment le ministre Robert Cecil – entretiennent une correspondance secrète avec Jacques VI (Voir Bruce, 1838). Robert Cecil, Earl of Salisbury (vers 1563-1612), est un homme d’État majeur de la période élisabéthaine ; lors de son accession, Jacques Ier s'appuie volontiers sur l'expérience de Cecil et reconduit son mandat. Fidèle parmi les fidèles, il se révèle être un des soutiens les plus zélés de l'Union voulue par Jacques (Voir Jessopp, 1885-1900, vol 9). Il s'agit d'éviter que la prise de pouvoir soit vécue comme une invasion. C'est aussi dans cette correspondance qu'apparaissent les premiers signes du projet d'Union. Dans une lettre secrète au comte de Northumberland, celui qui est encore roi des Scots exprime ses sentiments à l'égard des sujets d’Élisabeth : « Tous les hommes qui ont sincèrement servi leur présent souverain seront les bienvenus pour moi, comme ils le sont aujourd'hui ou l'ont été. […] Je ne demande rien en retour en tant que roi d’Écosse, mais j'espère par cela avoir les moyens de souder cette île tout entière en une heureuse et perpétuelle unité » (Willson, 1956, p. 175). Autre élément révélateur de l'ambition de Jacques : le comportement du roi fraîchement proclamé. En plein trajet pour rejoindre Londres, Jacques Ier s'arrête à la frontière des deux pays. Il descend alors de cheval, et s'allonge à même la terre, les bras en croix sur la ligne de séparation. L'image est forte : Jacques voit son propre corps comme un trait d'union entre ses deux royaume (Teems, 2010, p. 149).
7
Au sujet de la légitimité de Jacques, voir Emmet, 2010.
8
« Le roi-berceau » est un surnom faisant référence à la jeunesse puis à la faible constitution de Jacques. À ce sujet, voir Stewart, 2003; Le Quéau, 2012.
9
Un adage révélateur circule sous le règne de Jacques Ier : « Rex fuit Elizabeth ; nunc est regina Jacobus [Elisabeth était roi ; maintenant James est reine] ». Voir Norton, 2000; Williams, 1951, p. 105.
10
Un contemporain du roi remarque déjà ce clivage. En 1584, M. Fontenay, émissaire français de Mary Stuart, rencontre Jacques, âgé alors de dix-huit ans. Dans son rapport, il narre son impression concernant le jeune roi : « For his years, [he is] the most remarkable Prince that ever lived. Three qualities of the mind he possesses in perfection : he understands clearly, judges wisely, and has a retentive memory. His questions are keen and penetrating and his replies are sound. In any argument, wathever it is about, he maintains the view that appears to him most just […]. He is well instructed in languages, science, and affairs of state, better, I dare say, than anyone else in his kingdom. […] I have remarked in him three defects that may prove injurious to his estate and government : he does not estimate correctly his poverty and insignificance but is over-confident of his strenght and scornful of other princes ; his love for his favourites is indiscreet and willful and takes no account of the wishes of his people ; he is too lazy and indifferent about affairs, too given to pleasure, allowing all business to be conducted by others. […] His body is feeble and yet he is not delicate. In a word, he is an old young man [Pour son âge, [c'est] le Prince le plus remarquable qui ait jamais existé. Trois qualités de l'esprit qu'il possède à la perfection : il comprend avec clarté, juge avec sagesse, et a une bonne mémoire. Ses questions sont vives et pénétrantes, et ses réponses sont solides. Dans un débat, quelqu'en soit le sujet, il maintient la position qui lui semble la plus juste. […] Il est fort instruit en langues, en sciences et dans les affaires de l'État, mieux, j'oserais dire, que n'importe qui d'autre dans son royaume. […] J'ai remarqué en lui trois défauts qui pourraient causer du tort à son État et à sa gouvernance : il mésestime sa pauvreté et son insignifiance, mais il a une énorme confiance en sa force et il méprise les autres seigneurs ; son amour pour ses favoris est indiscret et entêté, et ne prend pas en compte les vœux de son peuple ; il est trop paresseux et désinvolte à l'égard des affaires courantes, trop en quête de plaisir, laissant les autres s'occuper de tout. […] Son corps est faible mais il n'est pas délicat. En un mot, c'est un vieux jeune homme] » (Willson, 1956, p. 53).
11
« […] a witty, well-read scholar who wrote, disputed and harangued, and a nervous, drivelling idiot » (Craighead, 2008, p. 14).
12
Le roi y fait allusion au début de son discours, désignant la peste comme « the God's devouring angel » (Jacques Ier, Discours du trône, 19 mars 1604, Glasgow, Glasgow University Library, Sp. Coll. Bf72-e.5).
13
Henri VII bat les troupes de Richard III lors de la bataille de Bosworth Field le 22 août 1485, mettant un terme à la Guerre des Deux-Roses. Il entérine la fin du conflit en épousant Elisabeth d'York le 18 janvier 1486, et fonde la dynastie des Tudor dont Elisabeth Ière est la dernière représentante. À ce sujet, voir Myers, 2022.
14
« […] l'union de ces deux maisons princières n'a rien de comparable avec l'union de deux royaumes anciens et fameux, et cette paix est attachée à ma personne » (Jacques Ier, Discours du trône, 19 mars 1604, Glasgow, Glasgow University Library, Sp. Coll. Bf72-e.5).
15
« When I speak of a perfect union, I mean such a general union of laws as may reduce the whole land, that as they have already one Monarch, so they may all be governed by one law » (Craighead, 2008, p. 4).
16
Titre complet : An Act Authorizing certain Commissioners of the realm of England (Prothero, 1913, pp. 251 à 253, 268 à 270).
17
« His most excellent Majesty has been pleased to represent unto us […] how much he desired, in regard of his inward and gracious affection to both the famous and ancient realms of Scotland and England, now united in allegiance and loyal subjection in his royal person […], that by a speedy, mature and sound deliberation such a further union might follow, as should make perfect that mutual love and uniformity of manners and customs that Almighty God in his providence […] has already so far begun » (MacDonald, 2014, p. 251).
18
« He loves the chase above all other pleasures and will hunt for six hours without interruption, galloping over hill and dale with loosened bridle [Il aime la chasse par-dessus tous les plaisirs, et peut chasser pendant six heures sans interruption, galopant à travers monts et vallées à bride abattue] » (Willson, 1956, p. 53).
19
En 1604, il a quarante-neuf ans. Jacques Ier le nomme Lord Chancellor of Scotland, comme Lord Ellesmere en Angleterre. Il se voit également attribuer la fonction de Lord High Commissioner of the Parliament of Scotland, et c'est à ce titre qu'il prend la tête de la Commissioun. Lui aussi a la confiance du roi, qui lui a même confié la garde de son fils Charles avant qu'il ne le rejoigne en Angleterre. C'est un partisan solide de l'Union.
20
Jacques demande aux écossais de faire correspondre leur liste à celle des anglais, « with personis of lyke qualitie and rank » (Galloway, 2003, p. 62).
21
Pour une liste de ces mémoires, voir Galloway, 2003, pp. 56 à 57.
22
Henry Savile (1549-1622) est un des intellectuels les plus éminents de la seconde moitié du règne d’Élisabeth Ire. C'est notamment un helléniste réputé, qui traduit de nombreux classiques tels que Tacite. Il aurait enseigné le grec à Élisabeth elle-même. Jacques Ier le fait chevalier en 1604. Voir J.C.H., 1981.
23
John Doddridge (1555-1628), avocat, est inspiré par les idées humanistes. Ses plaidoiries sont vantées par Francis Bacon, qui le recommande au Roi. Il est nommé juge du King's Bench en 1612 par Jacques Ier. Le ministre Robert Cecil en dira : « [he is] a very great and learned man ». Voir Fuidge, 1981.
24
« For […] I am of opinion that by the authority of the parliament with us, or an assembly of estates elsewhere, the inferiour may be inseparably united to his superiour [Car je suis d'opinion que par autorité du parlement ici, ou l'assemblée des états ailleurs, l'inférieur devrait être inséparablement lié au supérieur] » (Robertson, 2006, p. 16).
25
Henry Spelman (1564-1641) est historien et antiquaire de formation. Il devient avocat après la mort de son père, puis sheriff en 1604. Voir Virgoe, 1981.
26
« The alteratioun of auld lauis and gude policie, verray convenient for the kingdome, os not to be permittit, seing it uald tak many ages to satle the auld impyir » (Wijffels, 2000, p. 367).
27
Robert Pont (1524-1606) est un réformiste écossais, et l'un des plus fervents défenseurs de l'indépendance de l’Église à l'égard du pouvoir temporel. Cette position l'oblige à s'exiler en 1584. Il ne revient en Écosse qu'en 1586, mais garde ses convictions religieuses et politiques. Voir Henderson, 1885-1900, vol. 46.
28
Davide Hume de Godscroft (1558-1629) – à ne pas confondre avec le philosophe David Hume (1711-1776) – est un historien et généalogiste écossais. Ces poèmes polémiques font de lui une figure majeure du milieu intellectuel jacobite. Il a été secrétaire d'Archibald Douglas, 8ème comte d'Angus et proche du roi. En 1604, il est pasteur en Guyenne. Voir Wilson Bayne, 1891, vol. 28.
29
C'est là une position différente de la vision anglaise. Plutôt qu'une disparition d'un système dans l'autre, l'idéal écossais est celui d'une préservation des droits nationaux, avec la création au fil des décennies d'un droit unifié par la loi. C'est d'ailleurs ce que défendent Pont et Hume dans la deuxième partie de leurs travaux (Wijffels, 2000, p. 367).
30
Francis Bacon (1561-1626) est un philosophe, scientifique et avocat anglais. Jacques Ier, en amoureux des sciences, lui octroie les plus hauts honneurs. Après une succession de hauts postes, ils devient avocat-conseil du Roi, puis grand chancelier d'Angleterre en 1618. C'est dans ce rôle qu'il soutient avec force le projet de Jacques Ier. Bacon est considéré comme un intellectuel de premier plan de son règne. Les Commons l'accusent de corruption en 1621. Jugé et condamné par le parlement la même année, il est définitivement exclu du parlement. Aujourd'hui encore, subsiste l'hypothèse d'un coup politique pour écarter l'homme fort du Roi. Voir Fowler, 1885, Vol. 2.
31
John Russell (vers 1550-1612) est un écrivain et avocat écossais, protestant. Sa vision de l'Union est très écossaise : il prône l'unification par amitié et non par conquête, s'opposant à la vision auto-centrée des anglais. Son travail est très imprégné de religion. Selon lui, cette dernière doit être le lien déterminant entre les deux nations. Voir McConnachie, 2015.
32
Ce parlement mixte paraît largement inspiré du système anglais, au détriment du système des Estates. Bacon atténue à peine cette imprégnation anglaise en proposant des rédacteurs de lois sur le modèle des Lords of the Articles écossais. Deux pamphlets anonymes de 1604, Pro Unione et The Divine Providence in ye misticall and reall union of England and Scotland, se montrent plus modérés. Leur vision est fédérale et très actuelle. Ils préconisent trois parlements – les deux parlements nationaux et une assemblée mixte pour discuter de questions communes aux deux pays. Ces deux tracts évoquent également le gouvernement : ils formulent le souhait d'intégrer aussi bien des anglais que des écossais au sein du Council royal (Galloway, 2003, p. 41).
33
L'office en Angleterre peut être rapproché, dans sa définition, de l'office en France à la même époque. C'est une charge publique à laquelle s'attachent un revenu et des privilèges. L'office peut mener à un anoblissement – c'est souvent la principale motivation de ceux qui accèdent à la fonction. Cependant, la vénalité des offices n'a pas la même acception dans les deux systèmes. En France, elle est institutionnalisée sous l'Ancien Régime avec un appareil spécialisé, les parties casuelles. En Angleterre, si les prétendants à l'office achètent leur charge dans les faits, il s'agit d'une pratique informelle s'apparentant à des « dessous de table ». À ce sujet, voir Bien, 1988, pp. 382 à 383.
34
Thomas Craig (1538-1608) est un juriste et poète écossais. Il fait ses études de droit à Paris, puis revient en Écosse où il occupe un poste de sheriff-deputee à Édimbourg. Il joue ensuite le rôle de conseiller au service de Jacques VI. Il accompagne Jacques en Angleterre en 1603 et assiste à son couronnement. Ayant refusé par humilité d'être décoré, il est nommé par le roi comme membre de la commission pour l'union écossaise. Il dénonce très vite le nationalisme écrasant des anglais et leur attitude fermée face à l'Union, donc il est un fervent défenseur. Son œuvre la plus connue, « Ius Feudale », tend à démontrer les origines communes des droits anglais et écossais. Elle est éditée en 1603 – c'est son seul travail publié de son vivant. Voir Mackay, 1887, vol. 12.
35
Son idée est de rapprocher certaines incriminations, pour qu'elles puissent être réprimées partout sur le territoire de la Grande-Bretagne. Bacon vise seulement les incriminations qui heurtent l’État ou les mœurs : selon lui, un catalogue commun d'incriminations peut aider l'Union à lutter contre ceux qui la menacent. (F. Bacon reproduit par Irvine, 1670, pp. 57 à 58).
36
Wijffels, 2000, p. 382.
37
« En droit privé, l’auteur considère plusieurs domaines du droit des personnes, mais surtout le droit des biens. En droit des personnes (y compris quelques aspects du droit patrimonial de la famille), sa brève analyse de cinq matières (l’absence d’esclavage, sauf dans les territoires anglais d’outre-mer ; la portée de l’autorité paternelle, et notamment la faculté d’exhérédation ; la protection (patrimoniale) des mineurs et la tutelle; plusieurs règles du droit du mariage, notamment dans le comput ou l’établissement de la parenté et de l’affinité ; la forme et l’exécution des testaments – ces deux dernières matières ayant évidemment été influencées par le droit canonique) lui permettent de conclure qu’il y a une correspondance générale entre les deux systèmes. En droit des biens (conçu quelque peu aussi largement que les “res” dans le système institutionnel, et comprenant les contrats), l’auteur marque brièvement une correspondance dans le régime des meubles, de la responsabilité contractuelle, du prix et des contrats spéciaux » (Wijffels, 2000, p. 375).
38
William Cornwallis (vers 1579-1614 ou 1631) est un parlementaire et essayiste anglais. Voir Hunt, 1887, vol. 12.
39
« May we not marry together, buy, sell, bargayne and use all kinde of commerce together, perfourme all offices of neighbours and countrymen, all of us being one people, under one rightfull King, though inhabiting diverse sheires and counties [Ne pouvons-nous pas nous marier, acheter, vendre, faire de bonnes affaires et toutes sortes de commerce ensemble, tenir tous les offices des voisins et compatriotes, être unis en un seul peuple, sous un seul roi légitime, et ce même si nous habitons différents comtés ?] » (Wijffels, 2000, p. 385).
40
« This combination of English immemorialism and Scots patriotism would appear to have left relatively little room for legal union » (Galloway, 2003, p. 40).
41
« Those amongst us who spoke at all or at any time, publickly, they were not above eight at most, and whereof the great lawyers were none (Sir Francis Bacon only excepted). To those that did speak also the matter was new, never before propounded, read or heard argued by them [Il n’y a pas eu plus de huit personnes qui, parmi nous, ont pris la parole, tout du long ou à un moment ou un autre, et, parmi elles, pas un seul grand avocat (excepté Sir Francis Bacon). Pour ceux qui parlaient effectivement, le sujet était nouveau ; ils ne l'avaient jamais défendu, lu, ou entendu d'arguments le concernant] » (Galloway, 2003, p. 64).
42
Symbole de cette entente mutuelle, le document porte les sceaux de tous les commissaires ayant accepté de le signer. Certains commissaires ont refusé de ratifier l'Instrument ; Galloway mentionne par exemple Edward Hoby (1560-1617), parlementaire et intellectuel anglais, favori du Roi (2003, p. 62). Trois copies du texte sont faites ; deux d'entre elles sont destinées aux Chanceliers, Lord Ellesmere pour l'Angleterre et Lord Fyvie pour l’Écosse. Une troisième est remise au Roi.
43
En gaélique « Na Crìochan ». Aujourd'hui, le terme ne désigne que la région la plus au sud de l’Écosse, les « Marches Écossaises ».
44
Ainsi, les soldats des Borders se concertent pour choisir leur camp. Ils se battent tantôt pour les Scots, tantôt pour l'Angleterre, avec pour seul but de sortir indemnes de la guerre. Une anecdote est révélatrice : en 1547, lors de la bataille de Pinkie Cleugh, des témoignages racontent que les borderers des deux nations se parlaient durant les combats, et faisaient mine de s'affronter lorsqu'ils étaient regardés. À ce sujet, voir Moffat, 2015.
45
« It is agreed by the commissioners of England and Scotland, to be mutually proponed to the parliament of both realms at the next sessions, that all hostile laws made and conceived expressly, either by England against Scotland, or Scotland against England, shall in the next sessions be abrogated and utterly extinguished » (Spottiswood, 1851, p. 148).
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« It is also agreed, that all laws, customs, and treaties of the borders betwixt England and Scotland, shall be declared by a general act to be abrogated and abolished, and that the subjects on either part shall be governed by the laws and statutes of the kingdoms where they dwell, and the name of the borders extinguished » (Spottiswood, 1851, p. 148).
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« And because by abolishing the border laws and customs it may be doubted that the executions shall cease upon those sentences that have heretofore been given by the opposite officers of those borders, upon wrong committed before the death of the late queen of happy memory, it is thought fit that in case the commissioners or officers to be appointed by his majesty, before the time of the next sessions of parliament, shall not procure sufficient redress of such filed bills and sentences, that then the said parliaments may be moved to take such order as to their wisdoms shall seem convenient, for satisfaction of that which hath been decerned by some officers ; as also how disorders and insolencies may be hereafter repressed, and the country which was lately of the borders kept in peace and quietness in time to come. As likewise to prescribe some order, how the pursuits of former wrongs, preceding the death of the late queen, and since the last treaties of the borders in the years 1596 and 1597, which have never as yet been moved, may be continued and prosecuted to a definitive sentence » (Spottiswood, 1851, p. 148).
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Quelques légères inégalités (sur le commerce du vin à Bordeaux, ou sur les échanges avec la Normandie par exemple) sont traitées (Spottiswood, 1851, p. 149).
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Si de tels avantages existent bel et bien, il est clairement prévu qu'ils soient supprimés : écossais et anglais doivent être sur un pied d'égalité en ce qui concerne l'importation (Spottiswood, 1851, p. 149).
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L'interdiction d'exporter certains produits (denrées de première nécessité tels que laine, bétail, moutons, ou encore cuir) doit être la même à l'égard des deux pays. De même, lorsqu'une autorisation d'exportation est accordée aux commerçants de l'un des royaumes, elle doit l'être aux commerçants de l'autre. (Spottiswood, 1851, p. 150).
51
Une mesure aussi radicale nécessite des exceptions : certains produits basiques tels que le cuir, le bétail ou encore le coton sont réservés aux commerçants locaux. De même, des zones de pêches restent propres à chaque royaume, leur assurant une certaine indépendance alimentaire (Spottiswood, 1851, p. 149).
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Autre signe important d'ouverture, les Écossais peuvent désormais intégrer les compagnies marchandes anglaises, quelle que soit leur taille ou leur nature. Les conditions de leur admission s'alignent sur celles imposées aux anglais. Le cas inverse est prévu (Spottiswood, 1851, p. 151), mais il s'agit d'une simple élégance de rédaction : en effet, seule l'Angleterre dispose de véritables corporations marchandes (Keith, 1910, p. 10).
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Les sanctions prévues en cas d’irrespect sont lourdes : confiscation de bateaux pour les marchands contrevenants, perte de charges pour les officiers complices ou de mauvaise foi, voire même emprisonnement dans les geôles royales. L'Instrument précise également la procédure à suivre pour juger ces affaires, ainsi que les juridictions compétentes (Keith, 1910, p. 152).
54
Ce certificat, signé au port d'embarquement des marchandises, doit ensuite être contre-signé par un officier du port d'arrivée (Keith, 1910, p. 152).
55
Il y apporte une limite : les ante-nati se voient refuser l'accès aux plus hautes charges (charges conciliaires, judicatures ou offices parlementaires) de l'autre royaume. En effet, le roi promet de réserver ces postes stratégiques aux natifs, pour ne pas les en déposséder. Sa promesse n'aura plus lieu d'être lorsque l'Union se sera enracinée à long terme, et donc quand l'égalité entre tous les sujets semblera naturelle. De fait, l'Union apparaît comme une projection fort abstraite. Ce caractère vague pourrait avoir deux raisons. La première est de ne pas enfermer l'Union dans un délai concret, dont l'irrespect pourrait être remarqué. La deuxième, de manière plus pragmatique, réside dans une volonté des commissioners eux-mêmes de sauvegarder leur place. En filigrane, se lit l'inquiétude des écossais comme des anglais face à une immixtion étrangère dans les élites nationales. Cela étant dit, il convient de préciser que le statut des ante-nati reste très proche de celui des post-nati. Offices royaux à part, ils bénéficient eux aussi de tous les droits et privilèges des sujets naturels (Spottiswood, 1851, pp. 153-154).
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Il est probable qu'évoquer des sujets plus controversés aurait conduit à une paralysie de la Commission et, à terme, à l'échec du projet d'Union avant même son examen par les parlements. Jacques Ier préfère donc sauver les sujets pour lesquels un accord est possible.
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Au sujet de la conspiration des poudres, voir Fraser, 2002.
58
Comme en Écosse, les complots gangrènent le règne anglais de Jacques. Il doit faire face à deux conspirations dès les premiers mois de son règne. Le premier, ourdi par des hommes d'église catholiques, consiste à enlever le roi pour le remplacer par un souverain catholique. Les instigateurs sont arrêtés et exécutés. L'un d'eux, sous la torture, révélera un deuxième complot plus important – d'où le fait que le premier complot soit nommé Bye Plot (Conspiration accessoire), le second Main Plot (Conspiration principale). Ce dernier vise à écarter le roi du trône pour y installer sa cousine, Arabella Stuart ; d'après les textes du procès, l'opération devait être financée par le gouvernement espagnol. Les coupables seront emprisonnés. À propos des conspirations catholiques, voir Morris, 2003.
59
La naturalization et le cas des Borders seraient revenus aux Lords ; le commerce et les lois hostiles, aux Commons. Cette division semble étrange, en ce qu'elle abandonne deux sujets majeurs aux Lords. Elle illustre en vérité les priorités des parlementaires de la Lower House : en l'occurrence Richard Martin, l'homme qui propose cet arrangement, est une figure du commerce londonien, orfèvre et commissaire des monnaies. Les marchands, puissants jusqu'aux bancs des Communes, tiennent à maîtriser l'aspect économique de l'Union (Galloway, 2003, p. 95).
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Henry Montagu, Earl of Manchester (vers 1563-1642), est un juge et un homme d’État anglais. Il est nommé serjeant-at-law en 1610, et à ce titre il enregistre tous les actes et discours du Roi. En plus d'être un partisan de l'Union, c'est un spécialiste des questions fiscales et financières. Il s'exprime donc souvent sur les points commerciaux du Bill. En 1612, il collabore avec Bacon et enquête avec succès sur des fraudes commises par des collecteurs d'impôts affermés. Voir McMullen Rigg, 1894, vol. 38.
61
John Bond (1550-1612) est un physicien et intellectuel classique. Il siège au parlement et est secrétaire en chef du Lord Chancellor Ellesmere. Voir Mew, 1886, vol. 5.
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L'escuage est un système de tenure militaire encore pratiqué dans les Borders à l'époque, en raison du caractère stratégique de la zone. Un seigneur anglais se voit attribuer une terre, à la condition de rejoindre l'armée à ses frais dès qu'une guerre éclate avec l’Écosse. Ce système n'a plus de raison d'être avec l'Union, mais suscite des interrogations sur les obligations des tenants. S'ils ne doivent plus d'aide militaire, que doivent-ils ? Les Lords précisent que si l'obligation de combattre les Scots n'existe plus, les seigneurs doivent toujours remplir leurs obligations vassaliques. Voir Galloway, 2003, p. 97.
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Ainsi, l'Act of Richard II, qui interdit d'entrer en Écosse sans consentement de la Couronne, est aboli au vu des nouvelles frontières du domaine royal (Tanner, 1960, p. 40).
64
Tanner, 1960, pp. 38 à 45.
65
« […] a controversy in which economic principles were hopelessly submerged in the flood of national prejudice » (Lythe, 1958, p. 225).
66
Pour une description détaillée des débats parlementaires sur la naturalisation, voir Galloway, 2003, pp. 100 à 119.
67
« Let us not join murderers, thieves, and the roguish Scots with the well-deserving Scots […] ; theyhave not suffered above two kings to die in their beds, these two hundred years. Our king hath hardly escaped them [N'assimilons pas les écossais meurtriers, voleurs et voyous aux écossais méritants […] ; ces deux derniers siècles, ils n'ont pas laissé plus de deux rois mourir paisiblement ; notre roi leur a échappé de justesse] » (Cavendish, 1841, p. 64). Ces mots valent à Piggott d'être exclu du parlement et enfermé à la Tour de Londres.
68
Edwin Sandys (1561-1629) est un homme politique anglais. Il commence sa carrière de parlementaire sous le règne d’Élisabeth et le poursuit après l'avènement de Jacques Ier, dont il cherche régulièrement les faveurs. Cette attitude docile à l'égard du Roi lui évite les ennuis : à plusieurs reprises, ses prises de position au sein des Commons sont mal vues par ses pairs. Il séjourne même à la Tour de Londres en 1621. Il joue un rôle fondamental sur le plan colonial, créant la première assemblée représentative du Nouveau Monde en Virginie. Voir Rabb, 1998.
69
« […] unto the speciall tyme that the Estaittis of England be thair Acts and statutis in parliament decerne grant and allow the same » (Price, 2013, p. 119).
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Par exemple, dans un discours du 2 mai 1607, il condamne Henry Yelverton, opposant notoire à l'Union. Sir Henry Yelverton (1566-1629) est un juge, issu d'une dynastie de magistrats. Il entre au parlement 1604. Son inconstance politique et la rudesse des opinions qu'il exprime lui valent les foudres royales. En vérité, sa disgrâce en 16070 n'est pas seulement liée à l'Union : durant la session, Yelverton critique le comte de Dunbar, favori écossais de Jacques. La disgrâce est telle que Yelverton passe six ans à implorer le pardon du Roi. Voir Gardiner, 1900, vol. 63.
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Le rejet du texte peut s'expliquer par sa pauvreté, certes. Néanmoins, il faut noter que les parlementaires, dont le rôle serait d'éventuellement amender les propositions ou les étoffer, n'en font rien. Il est donc possible de parler d'inertie parlementaire. D'ailleurs, le seul domaine dans lequel des amendements sont proposés et discutés se révèle être le seul domaine dans lequel les dispositions du Bill sont votées : l'abrogation des lois hostiles, sujet consensuel.
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À ce sujet, voir Le Quéau, 2012.
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Il affirme sa position dans The True Law of Free
Monarchies en 1598, et la réitère dans le Basilikon Doron en 1599. Ce « cadeau au prince », rédigé à l'attention de son fils Henry âgé de quatre ans, est un manuel pratique de l'exercice du pouvoir. Jacques y tient un propos radical quant à l'institution parlementaire. Il recommande tout simplement de s'en passer, et de ne la convoquer qu'en période de crise ou pour sa tâche naturelle : l'approbation de nouvelles lois (Ier, 1887, p. 34).
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Il est possible d'y voir les racines de la Première Révolution anglaise (1642). Charles Ier (1625-1649), fils de Jacques, est imprégné par les travaux absolutistes de son père. C'est une des raisons qui le poussent à un « règne solitaire » entre 1627 et 1640. Cet événement déclenche la révolte du parlement et la guerre civile, avec la prise de pouvoir d'Olivier Cromwell. Voir Duchein, 2002.
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Comme le décrit notamment Jenny Wormald : « […] he settled down to exasperate the English. He upset them by demanding a level of unity – a united kingdom – which they found abhorrent […]. He worried them deeply by his sometimes terrifying theories of kingship [[…] il s'est installé dans l'exaspération des Anglais. Il les a bouleversés en exigeant un niveau d'unité – un royaume uni – qu'ils abhorraient [...]. Il les a profondément inquiétés par ses théories parfois effarantes sur la royauté] » (Merriman et Wormald, 1995, pp. 131-132).
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« Statements such as “James would not alter his ways” and Parliament “felt the full impact of his despotism” simply are not true […]. Although his first Parliament ended on this rather negative note, the speeches James delivered during its nearly seven-year existence demonstrate his broadmindedness and wisdom. He was willing to discuss the Union with Parliament and compromise with them. He saw its economic and political advantages when few did [Les postulats selon lesquels ''James ne voulait pas modérer son comportement'' et le parlement ''a ressenti le plein impact de son despotisme'' sont tout simplement faux. Même si sa première session parlementaire s'est terminée sur une note relativement négative, les discours que Jacques a délivrés durant ses sept années démontrent son ouverture d'esprit et sa sagesse. Il désirait négocier l'Union avec le parlement et arriver à un compromis avec eux. Il en voyait les avantages économiques et politiques, ce dont peu de gens étaient capables] » (Mondi, 2007, p. 140).
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À ce sujet, voir Trueman, 2015.
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« […] no more possible it is for one King to govern countries contiguous, one a great, the other a less, one rich, the other poorer, than for one head to govern two bodies or one man to be husband to two wives » (Craighead, 2008, p. 5).
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Littéralement « le fou le plus sage de la chrétienté » (McElwee, 1958).
Notes aux auteurs
* IODE (UMR CNRS 6262)
Doctora en Historia del Derecho por la Universidad de Rennes 1, Francia
Information additionnelle
Cómo citar
:
Touche, C. (2022). Jacques Ier et le projet d’union des couronnes anglaise et écossaise: anatomie d’un échec parlementaire (1604-1607). Revista Estudios Jurídicos. Segunda Época, 22, e7578. https://doi.org/10.17561/rej.n22.7578